« Collaboration », au théâtre de la Madeleine

Lorsque l’on parle de « collaboration » dans le contexte turbulent qu’était celui des années 30 en Europe, on pense immédiatement à la collaboration politique, celle, au mieux, de la résignation, au pire de l’implication. Mais au cours de cette période agitée, d’autres sortes d’alliances ont vu le jour. Artistiques celles-ci.

collaborationGarmisch, Allemagne, 1931. Le grand compositeur Richard Strauss est en manque d’inspiration. Depuis la mort deux ans plus tôt d’Hugo von Hofmannsthal, librettiste de ses plus grandes œuvres, cette légende vivante de la culture allemande peine à composer. Sur les conseils de son épouse Pauline, il se décide à écrire au plus célèbre auteur de l’époque, Stefan Sweig.

Salzbourg, Autriche, 1932. Stefan Sweig accueille Richard Strauss et son épouse dans sa demeure bavaroise. Alors en pleine écriture de son Marie-Antoinette, il accepte de collaborer avec le compositeur et d’écrire pour lui le livret de son nouvel opéra, La femme silencieuse.

Quelques mois plus tard, en janvier 1933, Hitler devient chancelier du Reich. Si Stefan Sweig ne cache pas son inquiétude, certain que le bruit des bottes va résonner de plus en plus fort, Richard Strauss, bien que sympathisant du nouveau régime, reste en contact avec l’écrivain Juif.

Afin de protéger sa belle-fille, Juive également, et ses petits-enfants, Strauss accepte de prendre la direction la Chambre de Musique du Reich, mais aussi de participer à des manifestations officielles, ou de composer entre autres l’hymne olympique pour les Jeux de 1936, à Berlin. Cette « collaboration » avec le régime nazi le mènera à sa perte.

La femme silencieuse, opéra en trois actes sous la direction de Karl Böhm, est présenté pour la première fois à Dresde en juin 1935. Refusant de céder aux pressions du ministère de Goebbels, Strauss exige que le nom de Stefan Sweig, supprimé de l’affiche, y soit de nouveau apposé. Cette obstination aura pour effet la suppression pure et simple de toutes les représentations. La femme silencieuse ne sera jouée qu’à deux reprises, et Richard Strauss est invité à démissionner de son poste à la tête de la Chambre de Musique du Reich.

Du salon du musicien où trône un majestueux piano à queue, à celui de l’écrivain, empli de livres et de bibliothèques, le spectateur est transporté au cœur même de cette union improbable, passionnante, fructueuse, qui conduira chacun des deux protagonistes à un destin tragique. Après s’être réfugié à Londres, puis à New York, Stefan Sweig et sa jeune épouse Lotte trouveront refuge au Brésil, où ils se suicideront en février 1942, tandis que Richard Strauss, qui ne se relèvera jamais des accusations portées à l’égard de son engagement pour le Reich, comparaitra au lendemain de la guerre devant la commission de dénazification.

Superbement mise en scène par Georges Werler, cette pièce signée Ronald Harwood fait, durant les deux heures qu’elle dure, passer les spectateurs du rire aux larmes, du doute à la colère, de la compassion à l’incompréhension. Comment l’allemand pronazi a-t-il pu à ce point se compromettre avec le Juif indésirable, si ce n’est par une amitié réelle et profonde, vide de toute considération politique ? Les couleurs, les joies et l’humour qui rythment les premiers instants de la représentation cèdent malheureusement trop rapidement la place aux nuages qui couvriront une Europe devenue folle.

Michel Aumont et Didier Sandre, interprétant respectivement Strauss et Sweig, adoptent un ton et une assurance qu’on ne voudrait plus justes. L’un déborde d’enthousiasme, enjoué et sûr que l’art ne saurait être impliqué dans cette tourmente politique tandis que l’autre, inquiet, plus perspicace peut-être aussi, évolue avec réserve et précaution, certain que le monde va sombrer dans le chaos.

Historiquement passionnant, artistiquement magistral !

Collaboration, au théâtre de la Madeleine, jusqu’au 30 juin 2013. Horaires, tarifs et réservations sur le site du théâtre de la Madeleine.

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