« Le cas Eduard Einstein » : hommage au fils d’un génie

« Le cas Eduard Einstein » est l’histoire de trois destins. Trois destins qui se rencontrent, s’éloignent, se retrouvent…

Celui d’Albert Einstein tout d’abord, prix Nobel de physique et génial père de la théorie de la relativité. De Mileva Maric ensuite, sa première épouse avec qui il restera marié 17 années, et avec qui il aura trois enfants. Puis celui d’Eduard enfin, leur fils cadet qui, au fil des 300 pages de ce récit  à mi-chemin entre roman et biographie, se raconte à la première personne.

Etudiante à l’école polytechnique fédérale de Zurich – en cette année 1896, elle est la seule fille de sa classe et la 5ème seulement de toute l’histoire de l’établissement, Mileva Maric, serbe orthodoxe, suit des cours de physique et de mathématiques. Dans le cadre de ses travaux, elle fait la connaissance d’Albert Einstein, avec qui elle entame bientôt une liaison. Lorsqu’elle tombe enceinte, elle se voit contrainte d’abandonner ses études doctorales. Là où certains affirment que ce premier enfant – une fille prénommée Lieserl, aurait été adoptée, d’autres répondent qu’elle aurait été abandonnée, voire enterrée quelque part en Serbie. Quoiqu’il en soit, « l’affaire Lieserl » reste encore de nos jours sans réponse.

En 1902, Mileva et Albert se marient. Deux autres enfants naitront de cette union, Hans-Albert, en 1904, et Eduard en 1910.

A la veille de la Première Guerre Mondiale, Albert décide de quitter Zurich pour enseigner à Berlin. Si dans un premier temps, Mileva et ses enfants le suivent, la jeune femme ne s’habituera jamais à la capitale allemande, et reviendra à Zurich peu de temps après. Le temps et la distance auront raison de leur couple, et ils finiront par divorcer peu avant 1920.

Si Albert, trop occupé par ses recherches, ne fit jamais grand cas de son ménage ni de ses enfants – il n’avait ni l’âme familiale, ni la fibre paternelle, il versera cependant à son ex-épouse les 80.000 couronnes qu’il remporte pour son Nobel. Mais la crise de 1929 et les frais médicaux exorbitants d’Eduard, interné pour schizophrénie, auront vite raison de cette somme. Spolié de ses biens et de son argent, Albert ne peut plus les aider. Pour survivre, Mileva est contrainte de donner des cours de mathématiques et de piano, portant dans le même temps sur son fils Eduard une attention toute particulière.

Dans l’Allemagne du début des années 30, les Juifs sont devenus persona non grata. Si une première liste d’ « hommes à abattre » ne tardera pas à voir le jour – parmi lesquels Thomas Mann, Joseph Roth, Walter Benjamin ou encore Arthur Kern , la tête d’Albert Einstein est d’ores et déjà mise à prix pour 5 millions de marks. L’oreille collée à son poste TSF, hésitant encore à fuir, ce dernier ne peut que constater la lente descente aux enfers de l’Allemagne, et la montée du nazisme et de son charismatique Führer.

Au lendemain de l’accession au pouvoir d’Hitler, il devient l’ennemi juré du régime et de l’Allemagne toute entière. Il démissionne de l’Académie de Prusse, rend son passeport allemand et, dans la nuit du 4 au 5 mai 1933, quitte définitivement Berlin. Avant d’embarquer pour les Etats-Unis, il décide de rendre une dernière visite à son fils Eduard, à la clinique psychiatrique Burghölzli de Zurich depuis trois ans. En proie à des accès de folie, paranoïaque, schizophrène, suicidaire, Albert le trouve enserré dans une camisole. Cette visite est la dernière qui réunira à la fois Albert Einstein, Mileva et Eduard. Il ne reverra jamais plus ni son fils ni son ex-femme. En 1955, lorsqu’on lui annoncera la mort de son père, Eduard répondra – dans un rare moment de lucidité, qu’à ses yeux, Albert Einstein est mort depuis plus de 20 ans.

Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas les bras ouverts que le savant est accueilli aux Etats-Unis. Un groupe de pression influent mènera même campagne pour le faire interdire sur le sol américain. Son comportement à l’égard de la cantatrice noire Marian Handersen, dont les hôtels interdisent, à l’issue de son récital, leur accès à cause de sa couleur de peau et qui trouvera asile au domicile d’Albert Einstein à Princeton, ne pourront que faire regretter au gouvernement et au peuple américain son hospitalité.

A-travers le regard d’Eduard – cultivé, brillant étudiant en médecine qui se rêvait psychiatre, le lecteur est invité à pénétrer le « clan » Einstein. Entre une mère prête à tous les sacrifices pour son fils, et qui sera inhumée dans la plus grande discrétion dans le cimetière Nordheim de Zurich, et un père qui fréquente Sweig ou Freud, s’illustre plus par son génie en physique que par sa fibre paternelle, et concède que la folie de son fils est de nature génétique, c’est au fil des démences du cadet Einstein que défilent plus de trente années d’une histoire tumultueuse, et que nous fait redécouvrir Laurent Seksik.

Déjà auteur en 2010 des Derniers jours de Stefan Sweig – monté sur scène il y a peu, avec Patrick Timsit et Elsa Zylbertsein dans les rôles principaux, ou encore d’une biographie du même Albert Einstein, Laurent Seksik signe avec Le cas Eduard Einstein un livre profondément touchant, mettant en lumière tout un pan assez méconnu de la vie du physicien dont l’opinion ne veut retenir que ses aspects les plus illustres. Einstein était un génie, mais il était avant tout un homme.

Le cas Eduard Einstein, de Laurent Seksik, aux éditions J’ai lu. 316 pages. 7,60€.

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