Séville, Grenade, Cordoue : un périple sur les traces des communautés séfarades oubliées…

Si les emblématiques Alcazar et Plaza de España de Séville, la somptuosité des palais Nasrides de l’Alhambra de Grenade ou l’immensité de la mosquée-cathédrale de Cordoue — la seconde plus vaste du monde après celle de La Mecque —, constituent des étapes inévitables à toute visite en Andalousie, les initiatives mises en place dans ces villes afin de faire « renaître » l’histoire et la mémoire des Juifs séfarades méritent également que l’on s’y attarde.

Repères historiques

On estime que les premiers Juifs arrivent en Espagne vers 70 de l’ère chrétienne, après la destruction du Second Temple de Jérusalem. Avec Tolède et Ségovie, la communauté juive de Séville était alors l’une des plus importantes d’Espagne. Plus ou moins tolérés sous les romains et les Wisigoths — qui mettent en place les Conciles de Tolède —, les Juifs accueillent favorablement les conquérants arabes au début du 8ème siècle.

Pendant les trois siècles qui vont suivre, et jusqu’à la chute des royaumes des Taïfas en 1086, les Juifs de la péninsule ibérique vont atteindre une position économique et sociale si haute, et la culture séfarade un tel niveau que cette période est unanimement considérée comme l’âge d’or de judaïsme en Espagne.

L’arrivée des dynasties Almoravides en 1086 et Almohades en 1146 marque la fin d’une longue période de fastes et de coexistence pacifique entre les différentes communautés. Contraints de se convertir à l’islam, les Juifs fuient l’Espagne par milliers, et trouvent refuge au Maroc, en Turquie ou en Grèce, qui accueillent à bras ouverts quantité de savants, philosophes, médecins, poètes…

Ruelle de la Juderia de Séville.
© Cultures-J 2013.

Les poussées chrétiennes de 1212 à 1264 ayant mis les musulmans en échec, de nombreux Juifs décident de regagner l’Espagne et de s’y réinstaller. Mais les pogroms de 1341, l’Inquisition mise en place par les Rois Catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, et enfin la publication en 1492 du décret de l’Alhambra ordonnant l’expulsion de tous les Juifs du royaume — de 100.000 à 150.000 personnes quittent le pays — mettent définitivement un terme à plusieurs siècles d’histoire.

Aujourd’hui, plus de soixante lieux en Espagne portent le nom de Juderia, calle de los judios, etc., témoignant de la présence et de l’influence juives en Espagne.

De Séville à Cordoue…

S’il ne subsiste que de rares vestiges de la présence juive dans la Juderia de Séville — actuels quartiers de Santa Cruz et de San Bartolomé —, les visiteurs pourront néanmoins se replonger dans l’histoire de ce quartier et de ses transformations successives depuis le moyen-âge jusqu’à nos jours grâce au centre d’interprétation Juderia de Sevilla (Casa de la Memoria).

Au cours d’une visite d’1h30, ils pourront découvrir les multiples modifications qu’a connu le quartier.

Des vingt-trois synagogues que comptaient jadis la ville, seule une subsista après les révoltes de 1391. Transformées en églises ou rasées pour ouvrir des jardins publics, il n’existe aujourd’hui plus aucun lieu de culte israélite dans l’ancien quartier Juif de Séville.

L’ancien mur d’enceinte qui enfermaient les Juifs dans le ghetto — officiellement pour leur protection —, ne représente plus aujourd’hui qu’un mince tronçon, tout comme ne demeure qu’une seule et unique tombe de ce qui fut le cimetière Juif, rasé au profit d’un jardin et d’un parking souterrain en 1992 lors de l’Exposition Universelle. Une sépulture a été reléguée derrière une vitre, dans le coin d’un parking souterrain, tandis que des dizaines d’autres dorment dans des caisses, dans les réserves du musée archéologique.

L’emplacement des quatre portes qui desservaient le ghetto — aujourd’hui disparues —, la rue Levies ou encore la place de Las Cruces, haut-lieu d’exécution des Juifs — en une nuit, près de 3.000 périrent —, constituent également des étapes importantes à la bonne compréhension de cette visite.

La rue Levies, Séville.
© Cultures-J 2013.

Offrant les clés d’une part historique dissimulée, cette passionnante visite s’achève par la découverte de l’exposition permanente que consacre le Centre d’interprétation à la communauté séfarade de la ville. Quelques articles judaïca tels que mézouzot et chandeliers, robes et parures, cartes et biographies d’illustres personnalités sévillanes complètent cet intéressant voyage dans le temps et dans la Mémoire.

A quarante-cinq minutes de train de Séville, la très touristique ville de Cordoue abrite quant à elle l’une des trois dernières synagogues médiévales du pays — les deux autres se trouvant à Tolède.

Entre les 9ème et 11ème siècles, on estime entre 30.000 et 50.000 le nombre de Juifs qui vivaient à Cordoue, représentant environ 10% de la population de la ville (il ne reste plus aujourd’hui que 10 ou 12 familles).

Édifiée en 1315 par Yitzhak Moheb, sans doute pour un usage privé ou familial au vue de sa petite taille, la synagogue fut successivement transformée avant de tomber dans l’oubli, et d’être redécouverte en 1884 par le prêtre Don Mariano Parragá.

Ancienne synagogue de Cordoue.
© Cultures-J 2013.

Constituée d’un patio, d’une salle de prière et d’une galerie supérieure pour les femmes, son ornementation de pierre, de bois et de stuc représente une qualité artistique et ornementale des plus pures.

A quelques pas de la Plaza Maimonides et de la Plaza Tiberias sur laquelle trône une statue du célèbre rabbin, médecin et philosophe se trouve la Maison Séfarade (Casa de Sefarad), installée dans une ancienne maison juive datant de 1320. Un tunnel reliant les deux bâtiments laisse supposer qu’une des pièces de la demeure, plus profonde, aurait pu être utilisée comme mikvé pour la synagogue.

La Maison Séfarade est en réalité bien plus qu’un musée visant à préserver le caractère Juif de la ville. Ses huit salles plongent les visiteurs dans l’histoire — l’Inquisition de Cordoue était l’une des plus cruelles d’Espagne —, mais également dans la vie domestique, mettant l’accent sur l’artisanat de la broderie au fil d’or, ouvrages somptueux exclusivement exécutés par des femmes veuves ou célibataires.

En plus d’une petite synagogue encore en activité lors de certaines célébrations, et de salles consacrées à la musique séfarade, aux fêtes juives, aux femmes Al-Andalous — dont certaines avaient pour l’époque un pouvoir et une influence considérables —, l’établissement organise des concerts, des ateliers musicaux, des conférences, des pièces de théâtre ou encore des séances de rencontres-dédicaces avec des auteurs.

Si à l’inverse de Séville, des visites extérieures de la Juderia ne sont pas assurées par la Maison Séfarade, la concentration de tous ces lieux permet aisément de les découvrir par soi-même.

… en passant par Grenade.

Les traces de la présence juive à Grenade sont pour ainsi dire aujourd’hui inexistantes. Il n’existe plus de synagogues, et en-dehors d’un cimetière enfoui, ou de l’ancien siège de l’Inquisition abritant désormais un commissariat, à l’instar d’autres villes espagnoles, la mémoire séfarade de Grenade est tombée dans l’oubli depuis des siècles.

L’ancien quartier Juif, Casa BaKadima, se trouve dans l’actuel quartier du Realejo, dont l’entrée est marquée, à deux pas de la Place Isabelle la Catholique, par la statue de Yéhouda ibn Tibon, médecin, philosophe et poète du début du 12ème siècle.

Ruelle de la Juderia de Grenade.
© Cultures-J 2013.

Discrètement niché dans des ruelles escarpées aux façades blanches et aux volets bleus qui ne sont pas sans rappeler certaines cités méditerranéennes, le Museo Sefardi, ouvert depuis 2012, accueille les visiteurs dans un ancien « carmene », sorte de potager où Juifs et Musulmans travaillaient de concert.

S’il est des initiatives qui méritent que l’on s’y attarde, le Museo Sefardi en fait partie. L’ouverture de cet espace culturel au sein de la très conservatrice Grenade représente en effet à elle seule un exploit.

Malgré une collection mineure qui ne cesse cependant de s’enrichir au fil des dons et de la trésorerie que génèrent ses entrées, tout l’intérêt de cette visite réside dans le fait que Béatrice Perez, guide-conférencière et propriétaire des lieux, emportera les visiteurs à la fois dans l’histoire des séfarades d’Espagne, qu’elle raconte avec une inénarrable passion, mais surtout dans sa propre histoire, étroitement liée à celle de sa mère, emprisonnée sous le franquisme car elle refusait d’adhérer à l’idéologie dictatoriale.

Cercueils des Rois Catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Chapelle Royale de Grenade, cathédrale de l’Incarnation, Grenade.
© Cultures-J 2013.

De l’ouverture compliquée et chaotique de ce lieu de mémoire jusqu’à sa courageuse ambition de faire revivre le passé séfarade dans le cœur de la Grenade historique juive, le Museo Sefardi est sans conteste le lieu essentiel de celle qui fut jadis appelée « Garnatz al-yahoud », la Grenade des Juifs, par les arabes.

Ce thème vous intéresse ? Ne manquez pas nos rendez-vous autour de l’histoire des séfarades d’Espagne

Cultures-J remercie la Direction de ces établissements pour leur accueil et leur grande disponibilité, ainsi que les offices de tourisme des villes de Séville, Cordoue et Grenade pour leur précieuse collaboration.

Si vous désirez aller plus loin :

Les Juifs du roi d’Espagne. Oran 1509-1669, aux éditions Hachette. 240 pages. 20,05€.
Passeurs d’Orient : Les Juifs dans l’orientalisme, aux éditions de l’Eclat. 220 pages. 25,00€.
Les Juifs dans l’Espagne chrétienne avant 1492, aux éditions Albin Michel. 137 pages. 6,90€.
Juda Halévi, d’Espagne à Jérusalem, aux éditions Albin Michel. 172 pages. 8,50€.
Juifs d’Andalousie et du Maghreb, aux éditions Maisonneuve et Larose. 437 pages. 34,00€.
Les rois catholiques, ou L’Espagne sous Ferdinand et Isabelle (1474-1515), aux éditions Hachette BNF. 174 pages. 10,20€.
Les victimes d’Isabelle II la Catholique, aux éditions Hachette BNF. 5,70€.
L’élixir de l’immortalité, de Gabi Gleichmann, aux éditions Grasset. 550 pages. 22,00€.

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