« Yossi » : Eytan Fox présente son nouveau long-métrage au MK2 Beaubourg

Le mardi 11 décembre 2012, le réalisateur israélien Eytan Fox était présent au MK2 Beaubourg, à Paris, pour la projection en avant-première de son dernier film, Yossi. Cultures-J.com était présent, et propose à ceux qui n’auraient pas pu assister à la projection de découvrir l’intégralité de son intervention.

« Bonsoir. Je suis heureux d’être là. Ce film que vous allez voir ce soir est vraiment très cher mon cœur, et je suis très heureux de pouvoir le partager avec vous. La raison principale qui me pousse à faire des films est de pouvoir ensuite les partager, avec mes amis, avec le public, et d’avoir la possibilité de débuter un dialogue. Ce film, je pense, est mon meilleur film. En le faisant, j’ai vraiment réussi à trouver une vérité, ma vérité. Et ça fait du dialogue avec le public quelque chose d’encore plus significatif. J’espère qu’il y aura un dialogue entre vous et moi sur ce film après la projection.

Je voulais remercier tout particulièrement des personnes qui ont travaillé avec moi sur ce projet. Mon très grand ami, le scénariste Itan Segal, l’ingénieur du son, Jean-Christophe, et je tiens également à remercier le distributeur du film, Bodega. Je me suis senti très à l’aise, très en sécurité entre leurs mains. Enfin, pour finir, je remercie les vendeurs internationaux. Maintenant, regardons le film. Merci beaucoup. »

La projection achevée, couverte par de chaleureux applaudissements, Eytan Fox a accepté de répondre pendant près de cinquante minutes aux questions des spectateurs. Un moment rare entre un réalisateur et son public. Posée par un membre du staff du MK2, la première question ouvre le débat.

« Merci à tous d’être là ce soir. Évidemment, c’est un grand plaisir pour nous d’accueillir Eyan Fox pour cette avant-première à Paris. Le film sortira le 2 janvier 2013, notamment ici à Beaubourg. Je sens que vous êtes très timides, je vais donc poser une première question à Eytan :

Eytan, il me semble que vous aviez dit que Yossi était un de vos personnages préférés, que vous aviez vraiment adoré travailler le caractère de ce personnage. Pourriez-vous développer ?
Peut-être que certains d’entre vous ont vu un de mes précédents films, sorti en 2002, Yossi et Jagger. C’est le même personnage que vous avez vu ce soir, le personnage principal. Donc avec Yossi, il était très intéressant pour moi de pouvoir revisiter un personnage qui, à l’époque, avait été très important pour moi. Ça a été une expérience très intéressante de revenir sur ce rôle,  d’imaginer ce qui a pu se passer depuis que je l’avais laissé dans Yossi et Jagger, de voir ce qui lui était arrivé au fur et à mesure des évolutions de la société et de l’histoire d’Israël.

C’est plus un film sur les problèmes israéliens que lors du précédent film, Tu marcheras sur l’eau, même si on voyage toujours à-travers Israël.
Je suis heureux que vous ressentiez cela. La majorité des gens le ressente comme un film moins politique que ceux que j’ai fait auparavant, mais comme un film plus personnel. Dans ce film, je pense montrer de nombreuses facettes de la politique en Israël, ses problèmes et ses difficultés. Et je suis vraiment content que vous ayez ressenti cela. Mais je voulais aussi dire que si tous les films sont plus ou moins politiques, dans ce film, Yossi est une victime du monde dans lequel il a grandi, dans le monde dans lequel j’ai grandi. C’est un monde très difficile en Israël. Il y avait cet idéal de l’homme viril qu’on devait absolument représenter. Yossi est une victime de cet Israël, de cet idéal masculin. C’est comme ça qu’il a vécu, en étant une victime. Déjà dans Yossi et Jagger, il était un personnage très fermé, qui sentait qu’être gay, et être un homme, c’était une contradiction. Yossi n’a pas vu le changement, il n’a pas évolué avec le monde.  C’est quelqu’un de triste, jusqu’à ce qu’il rencontre ces jeunes Israéliens, représentés par un groupe de soldats, soldat qu’il était dix ans plus tôt. Des hommes différents de celui qu’il était. Dans leur monde, aujourd’hui, on peut être ouvertement gay et servir dans l’armée israélienne. Ce n’est plus du tout une contradiction. Il voit ces jeunes s’amuser ensemble, ils ne se moquent pas du soldat gay, et c’est vraiment ce que j’ai voulu montrer dans le film. Montrer aux jeunes générations que c’est possible, qu’il n’y a plus de contradiction, enseigner comment rendre les choses meilleures. Je voudrais aussi vous dire qu’avec vous ce soir, c’est la première fois que je ressens que la présence de soldats israéliens sur l’écran semble être… dérangeante. Comme une sorte de rejet, comme si on n’aimait pas les soldats israéliens. Mais en vérité, personne n’aime les soldats israéliens. Mais c’est comme ça. A dix-huit ou dix-neuf ans, on devient soldat en Israël, que l’on soit un homme ou une femme. C’est le monde dans lequel nous avons grandi, le monde dans lequel nous vivons. Mais il y a de nombreuses sortes de soldats. Des soldats qui sont d’accord et engagés avec les actes du Gouvernement, et d’autres qui ne sont pas. C’est un sentiment étrange que j’ai ici ce soir pour la première fois. J’avais presque envie de me cacher. Mais c’est important de comprendre que les jeunes hommes en Israël, ce sont ceux que vous venez de voir à l’écran.

Dans Yossi et Jagger et The Bubble, vous donnez une image traumatique de l’homosexualité et de l’armée, comme une chose difficile à vivre. Mais dans ce film, vous semblez plus optimiste. Est-ce votre vision actuelle d’Israël ?
C’est une question très difficile. Je ne pense pas être optimiste par rapport à Israël. Il y a différents lieux en Israël. Il y a ceux dans lesquels je vis, qui sont beaux, de plus en plus beaux même, et j’ai voulu exposer Yossi à ce monde nouveau, parce qu’il est aujourd’hui beau ce pays. Je voulais l’aider, le sauver, en lui faisant comprendre qu’Israël avait évolué. Je voulais lui montrer un nouveau visage du pays, qu’un nouveau monde existe, que l’amour existe. Vous savez, dans l’ancien Israël dans lequel j’ai grandi, pour un homosexuel, entretenir une longue relation avec quelqu’un, se marier, avoir des enfants, c’était absolument impensable. L’idée aujourd’hui est beaucoup plus acceptée, et c’est vraiment cette idée que j’ai voulu montrer dans le film. J’ai voulu montrer à Yossi que la société israélienne avait évolué.

J’ai remarqué que la caméra, dans la scène de la voiture (sur le route, dans le Néguev – NDLR) bouge beaucoup. Comment expliquez-vous cela ?
Cette scène a été très difficile à tourner. Cela bougeait même beaucoup trop. Donc on a filmé pour faire quelque chose de beaucoup plus stable, et je pense que c’est aussi une métaphore de la vie, qui n’est pas toujours très stable. C’est ce que font les réalisateurs qui n’ont pas d’argent, ils se justifient en disant que cela représente la vie, etc. C’est un prétexte financier en réalité (rires).

Vous avez ressenti une gêne vis-à-vis des soldats israéliens parmi le public. Comment l’avez-vous vécu ?
Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis senti coupable. Peut-être à cause des événements en Israël ces derniers temps. Je pense que je vais devoir en parler à mon psychothérapeute en rentrant en Israël (rires). C’est la première fois que j’ai ce sentiment lors d’une projection.

A-propos d’Israël, comment expliquez-vous que les choses aient tellement changé pour la communauté gay en une dizaine d’années ? Votre film le montre, Israël est devenu plus ouvert. Comment expliquez-vous cela ?
Israël est un pays très étrange, plein de contradictions. Mes amis et moi avons travaillé très dur pour tenter de faire bouger les choses, en ayant conscience que les gens avaient besoin de ce changement, qu’ils soient gays ou hétéros. Je pense que la révolution en Israël a est aussi bénéfique aux homosexuels qu’aux hétérosexuels, parce que nous étions tous victimes de ce monde idéal dans lequel nous vivions, et qu’avaient créé nos parents, nos grands-parents. Nous voulions vivre différemment. On voulait changer la société, les opinions, on ne voulait vraiment pas être comme nos parents ou nos grands-parents. Avant, Israël était un pays avec des opinions assez extrémistes, racistes, homophobes. Aujourd’hui, c’est le paradis des homosexuels. Tel-Aviv est un très beau pays (rires). Mais l’explication vient réellement du fait que les gens ont voulu changer ce pays. Dans l’ancien Israël, celui dans lequel j’ai grandi, il était inimaginable de penser que les rues de Tel Aviv pouvaient arborer des drapeaux arc-en-ciel. C’était presque aussi inimaginable que d’imaginer Israël en paix aujourd’hui. Alors, peut-être que je suis trop naïf et trop romantique, comme vous venez de le voir dans le film, mais je sais qu’Israël a un potentiel, ce potentiel de s’ouvrir aux autres, de s’accepter et d’accepter les différences des autres. Mon espoir le plus sincère et que la société israélienne soit capable d’oublier ses peurs, ses idées reçues, pour pouvoir rentrer dans un nouveau monde. Ce sera peut-être un espoir déçu, mais c’est ce que j’espère au plus profond de moi-même. Mais vous ne voulez rien savoir à propos des acteurs sexys, ou quelque chose comme ça (rires) ? Vous voulez seulement parler de politique ?

Malgré tout, vous portez un regard critique sur l’évolution de la communauté gay en Israël, notamment avec ces échanges autour d’un « tchat » puisque finalement, vous montrez aussi que, dans cette acceptation de l’homosexualité, il y a une certaine hiérarchie, des préjugés physiques desquels Yossi est exclu finalement, puisque son corps ne correspond pas à un nouvel idéal qui est en train de se créer. Ca rends je trouve votre vision un peu moins naïve justement, avec un peu plus de cynisme.
J’ai peut-être montré un côté critique de la communauté gay, mais vous savez, je pense que nous avons tous un personnage pour internet, joli et agréable pour tout le monde, et un autre personnage pour la « vraie vie ». En effet il y a cette critique, peut-être due à la culture américaine, le fait que l’homme doive être très sexy, très musclé pour vraiment appartenir à cette communauté. L’autre aspect de cette critique, c’est peut-être le fait que Yossi n’est justement pas du tout comme ça. Il est un peu gros, pas très beau, et j’ai en effet voulu émettre quelques critiques.

Dans The Bubble ou dans Yossi, vous accordez une grande place à la musique. Il y a toujours un moment fort, avec un chanteur sur scène. C’était Ivry Lider dans The Bubble, et là c’est Keren Ann. Quelle place accordez-vous la musique dans vos films ?
Dans mon univers, la musique est très importante. Dans la vie, vous avez toujours une chanson qui vous rappelle des souvenirs. Un premier amour, des moments joyeux, des moments tristes, etc. Je voulais mettre ces sentiments dans le film. Je pense à mon film Tu marcheras sur l’eau, dans lequel on entend Bruce Springsteen à un moment, et Françoise Hardy à un autre. C’est vraiment pour confronter des musiques, des univers complètement différents. On retrouve cette idée dans le personnage de Yossi, qui veut s’ouvrir, aller s’amuser avec le groupe de jeunes hommes mais qui dans le même temps écoute de vieilles chansons israéliennes de Keren Ann. Elle devait être ici ce soir. Vous savez qu’elle habite à Paris, mais elle vient d’avoir un bébé il y a peu de temps, et elle n’a pas pu se joindre à nous. Elle vous transmet toutes ses amitiés. Dans mon prochain film il y aura des chansons de France Gall, ou encore de Michel Polnareff…

Je voudrais revenir sur la révolution gay en Israël, ou aux Etats-Unis comme par exemple dans Harvey Milk. J’aimerais savoir s’il y a des événements particuliers auxquels vous pensez quand vous parlez de cette révolution.
Je ne suis pas historien, je ne peux pas apporter plus de détails sur les différentes étapes de la révolution gay en Israël. Je pense que nous avons tous participé à cette révolution. Je suis le réalisateur israélien gay par excellence. J’avais même une série télé sur l’homosexualité (Mary Lou, diffusée sur la chaîne câblée israélienne HOT – NDLR). Ca arrivait directement à la maison, chez les familles. Donc je pense avoir été de ceux qui ont pu participer à ce changement de la société. Maintenant tous les gens de mon entourage ont des bébés, mes amis ont des bébés, tout le monde sauf moi. Je n’ai pas de bébé (rires).

Ce n’est pas une question, mais je voulais simplement dire que je suis tombée amoureuse de vos films depuis quelques années. Je vis avec, j’imagine ce qui s’est passé avant, ce qui se passera après, et je suis contente de pouvoir vous le dire ce soir. Voilà, c’est tout.
Merci beaucoup pour ce compliment. Je suis très touché.

Après près de cinquante minutes d’échanges conclus par de longs applaudissements, Eytan Fox a attendu les spectateurs à la sortie de la salle, les a salué, a continué de répondre à leurs questions et s’est volontiers prêté au jeu des photos-souvenirs.

Yossi, d’Etan Fox. DVD. 81 minutes.

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