« À la vie, à la mort », de Gilles Gaston-Dreyfus, au Théâtre du Rond-Point

Hélène, Joseph et Paul se retrouvent à la porte du cimetière. Ils viennent d’enterrer la mère d’Hélène. La fois précédente, c’était le père de Joseph. Et encore avant, c’était la mère de Paul, mais ça, c’était il y a longtemps.

C’est comme ça les enterrements, on se retrouve et on est bien content de se retrouver : on ne va pas pleurer, mais on ne peut tout de même pas en rire.

C’est l’occasion de croiser aussi des gens qu’on avait un peu perdus de vue, au point même de ne pas les reconnaître : telle cette jeune femme surgie de rien, fille du fils du frère, et qui a loupé la cérémonie parce qu’elle avait oublié le cadeau, cadeau que du reste elle n’a pas retrouvé. Au fond, tout cela n’a pas d’importance : il fallait juste se trouver là.

Hélène, Joseph et Paul sont amis depuis quarante ans, ou plus ou moins, ils ne s’en souviennent pas. Ils sont amis et se le disent, s’exclament « Je t’aime » comme on éternue, beaucoup de bruit et pas forcément pour grand-chose. « Je t’aime » comme un grand éclat tonitruant de rire et de rien.

Après l’enterrement, ils vont se rendre chez Hélène, dans la maison de famille, histoire de trinquer à la vie à la mort, et de noyer le chagrin. Ou bien de le raviver. Du moins, ils vont tenter de se rendre chez Hélène : encore faudrait-il qu’Hélène se souvienne du chemin, quand on perd son père, on perd ses repères.

Et en plus ils avancent, mais ils n’avancent pas. Ils font du surplace et c’est le décor, derrière eux, qui change et marque la progression. Le phénomène est à l’image de toute leur existence, passablement absurde, où l’on a beau ne pas pouvoir se bouger, le temps passe, lui, de lui-même.

Alors ils se parlent. Mais en fait, ils se parlent à eux-mêmes, et aucun des trois n’écoute les autres. Ils sont enfermés dans leur discours, dans leur raisonnement, dans leur logique. Enfermés en eux-mêmes, depuis toujours. Il y a Paul. Paul et ses lapsus incessants qui ne cessent de clamer haut et fort sa peur panique de la mort. Il y a Joseph, le psy, le pire psy que la terre ait porté sans doute, qui redoute les serpents sans vouloir s’avouer à lui-même ce que de sexe cache cette crainte. Il y a Hélène qui porte sa douleur comme on porte un enfant : la douleur justement d’avoir perdu un enfant, il y a longtemps, et d’avoir perdu aussi l’homme qu’elle aimait. Et tous les trois sont façonnés ainsi à la fois par la peur et par les enterrements : leur vie, leur vie tout entière, n’est que la crainte de ne pas trouver de place, au final, dans le caveau de famille. Comme si la vie se résumait à la mort.

Pourtant, sans doute voudraient-ils conjurer le sort en se jurant amitié et fidélité « à la vie à la mort ». C’est leur devise. Et ils ont parfaitement conscience qu’elle est stupide, cette devise. Non seulement elle est désuète, un peu ridicule, mais elle dit nettement l’absence de sens. « A la vie, à la mort », c’est le résumé cynique du vide même de la vie : la vie, puis la mort, et rien d’autre. Rien qui vaille, justement, la peine de vivre.

Ainsi évoluent ces trois clowns tout à la fois Beckettiens et Chaplinesques, brillamment interprétés par Anne Benoit, Stéphane de Groot et Gilles Gaston-Dreyfus et qui nous dressent l’effroyable constat : on peut passer quarante ans aux côtés de ses meilleurs amis sans rien leur dire qui vaille et en n’écoutant que sa propre voix en boucle. Mieux vaut en rire, même amèrement.

C’est ce que propose Gilles Gaston-Dreyfus.

À la vie, à la mort, actuellement au théâtre du Rond-Point.

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