« Alain (Re)nais », par Nathan Vandard

Commencer un article sur la mort d’un grand réalisateur par un cri de renaissance peut sembler paradoxal. Mais n’est ce pas la nuit que l’on observe le mieux les étoiles ?

nuit et brouillard alain resnaisAlain Resnais nous a quitté hier soir. Le cinéaste était âgé de 91 ans. Comme il le confiait dans une interview en 1980, la vocation artistique est, peut être, le résultat d’une nécessité de survie. Reprenant comme idée les travaux d’Henri Laborit qu’il fit intervenir dans son film Mon oncle dAmérique, l’homme serait atteint d’une maladie incurable dont l’imagination est un remède provisoire capable de prolonger la vie. Chacun est libre d’adhérer ou non à cette théorie mais le travail de Resnais poussa l’imagination dans de telles sphères qu’elle rendit son oeuvre intemporelle, et qui est peut être la raison de sa vitalité et de sa longue vie.

L’artiste est né en 1922 à Vannes. Très jeune il porte un intérêt au cinéma et à l’art en général. Sur sa table de chevet les oeuvres de Proust, de Breton nourrissent un esprit qui, à l’instar des Herbes folles (2008), ces plantes qui foisonnent et poussent en hauteur, inspirera plusieurs générations d’artistes. Cet intérêt pour la littérature n’est pas sans conséquences. Parallèlement à l’avènement du Nouveau Roman qui chamboule complètement la forme classique du roman, où l’intrigue n’est plus au centre et où recréer le désordre du monde est important, il emmène le cinéma sur des terres nouvelles. Ce parallèle avec la littérature n’est pas anodin.

Il confie certains de ses scénarios à des écrivains de renoms comme Marguerite Duras (Hiroshima mon amour), Alain Robbe Grillet (L’année dernière à Marienbad), Georges Seprun (Stavisky) ou encore Raymond Queneau (Le chant du Styrène). Il hésita même un temps à devenir libraire. Mais la littérature n’est pas son seul centre d’intérêt. La musique (On connait la chanson), la peinture (Van Gogh), la bande dessinée (voir l’affiche des Herbes folles) et bien sur le théâtre, dont l’énumération de l’impact sur son oeuvre ne saurait être exhaustive.

Alain Resnais souhaite d’abord devenir acteur. Pour cette raison, il intègre les cours Simon. Bien  qu’il nourrisse un amour profond pour le théâtre, il ne se montrera jamais dans ses films, jugeant ses prestations comme incertaines. « Je ne savais pas sur quel bouton il fallait appuyé pour être bon et sur quel bouton j’avais oublié d’appuyer pour être mauvais », confie t-il dans une interview.

En 1943, il intègre l’IDHEC, l’ancienne FEMIS, qu’il rejoint en section montage. L’art d’assembler les images entre elles donne des résultats d’une surprenante beauté avec Resnais. Il met en image le bol de Raymond Queneau dans Le chant du Styrène (1957). Dans ce court métrage, par la force du montage, des plans et de la voix de Queneau, il parvient à rendre esthétique la fabrication du bol. Car Alain Resnais est un formaliste affirmé. Sa maîtrise du montage mais aussi celle de la mise en scène donne sens au plus anodin des objets.

Néanmoins ce n’est pas ce montage là qui marqua l’histoire du cinéma avec des lettres de feu. Nuit et Brouillard (1955) marque un tournant inoubliable dans la mémoire et du cinéma et de celle de la Shoah. Construit uniquement à partir d’images d’archives, ce documentaire soulève la responsabilité de l’Etat français notamment au travers de la photographie du gendarme surveillant un camp (qui sera recouvert d’un bandeau noir jusqu’en 1997). Le documentaire est immédiatement récompensé par le prix Jean Vigo. Cette question de la mémoire, il la travaillera dans toute son oeuvre, mais, elle est encore plus présente dans les deux films qui suivirent ce documentaire.

En 1959, Hiroshima mon amour est un autre succès pour le réalisateur. Ce film raconte une histoire d’amour entre une actrice française, venue tourner un film sur la paix, et d’un japonais, qui devient son amant et son confident. Cette histoire d’amour vécue par deux personnages à la mémoire exacerbée par le traumatisme de la guerre, est une réussite. Cet appel à la vie et à la mémoire rencontre un succès critique et publique. Il totalisera 255 000 entrées lors de sa sortie en France.

Lannée dernière à Marienbad, second film du réalisateur auquel le qualificatif de chef d’oeuvre est apposé quasiment immédiatement, marque les esprits. Le temps pourrait être le personnage principal de ce film énigmatique. Ouvrant au cinéma une dimension presque fantomatique, ce film aux décors baroques, à l’atmosphère si unique, suit un homme cherchant à convaincre une femme qu’ils ont eu une liaison l’année passée à Marienbad.

Les témoignages, à l’occasion de la disparition du réalisateur sont aujourd’hui nombreux. Il y est dépeint comme un être profondément humain, bienveillant, mais surtout  comme quelqu’un faisant des films avant tout pour son plaisir. Il ne faisait pas un film pour le public, bien qu’il en ait besoin, comme il confie dans une interview. Ces films ne rencontrèrent pas toujours le public, mais quand ils le firent, ce fut une ovation. Souvenez-vous, il vous fit pousser la chansonnette en 1997 avec la « troupe Resnais », comme il aimait à l’appeler. Il participa à la popularité de grandes figures du cinéma français comme Pierre Arditi, André Dussolier, Sabine Azéma et Lambert Wilson. Ses participations avec Jean Pierre Bacri et Agnès Jaoui provoquèrent un formidable succès en salles  (2 649 299 entrées pour On connait la chanson qui fut son plus grand succès en salles). Comme le déclara Pierre Arditi : « Il n’y a rien qui ressemble moins à un film de Resnais qu’un autre film de Resnais ». L’univers onirique qu’il développa sous des formes tellement diverses font de lui une figure incontournable du cinéma mondial de part l’universalité des thèmes qui traversent son oeuvre.

Alain Resnais s’est retiré discrètement et le rideau s’est refermé, lui qui chantait cette vie faite de hasards, de coïncidences. Ce siècle d’existence durant lequel il prit le cinéma par la main avec une grande douceur et une grande modestie pour ne plus la lâcher. Son nom s’inscrit au registre de ceux qui firent du cinéma ce qu’il est aujourd’hui, un art en mutation perpétuelle aux possibles infinis, « un fleuve qui continue de couler », pour reprendre ses mots. Ce qu’il nous laisse, c’est un regard bienveillant et profond de l’humain, lui, rejoint la constellation des maîtres qui continueront d’éclairer le cinéma. Si l’artiste meurt, les toiles du cinéma ne meurent jamais, elles continuent de briller. Alain Resnais, c’est un cri lancé à la vie qui veut défier tout ce qu’elle a de périssable. Le cinéma n’est orphelin que si son pouvoir créateur de mémoire cesse, thème qui a travaillé en profondeur toute l’oeuvre du réalisateur. Malgré la disparition du maître, il est peut être temps de faire l’inventaire de son apport considérable, et de continuer à faire vivre l’ode au songe, à la vie et à l’humain qu’il effectua en presque un siècle de cinéma.

Alain (Re)nais , ce n’est pas une faute de frappe, c’est un appel à la vie et au cinéma, et peut être le plus bel hommage que l’on puisse rendre au cinéaste.

Nathan VANDARD pour Cultures-J.com.

Si vous désirez aller plus loin :

– Nuit et brouillard, DVD, avec Michel Bouquet.
– Hiroshima mon amour, édition digipack 2DVD + livret 32 pages.
– L’Année dernière à Marienbad, DVD, avec Giorgio Albertazzi et Delphine Seyrig.

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