« Berlin 33 » : retour sur l’année qui a fait basculer l’Allemagne

La salle est basse de plafond et le décor est sobre : des bancs rudes entourent la scène sur laquelle ne figurent qu’une chaise et un bureau en bois. Sur le dossier de cette chaise, une veste blanche. Et sur le bureau, quelques feuilles de papier et un verre d’eau.

René Loyon entre côté spectateurs pour exposer brièvement les circonstances de l’écriture du texte, puis il s’avance vers la scène et
enfile la veste, la « peau », du personnage.

Ceci n’est pas une pièce, on ne va pas y jouer, on ne va pas rire, on ne va pas même pleurer tant, au fond, tout ce qui va se dire ici paraîtra dérisoire et quotidien. Il va, tout au long de ce spectacle, être question de quotidien, celui d’un jeune homme que les hasards du sort ont fait traverser l’année 1933 à Berlin.

Hormis à quelques très rares reprises (imitations de personnages célèbres ou d’anonymes caricaturés…), René Loyon ne haussera pas la voix. C’est comme s’il nous avait réunis autour de lui pour nous faire ses confidences, ou bien comme s’il craignait encore de parler à voix trop haute tant les fantômes hideux de l’année 33 hantent sa mémoire.

Sébastien Haffner n’était ni un lâche ni un héros, ni un personnage prestigieux ni un miséreux, mais un être humain parmi d’autres, avec ses mesquineries et ses œillères, ses difficultés d’être et ses peurs d’agir, lorsqu’il a connu cette année au cours de laquelle tout a basculé

Quelques mois, trois saisons, des jours comme les autres, au cours desquels pourtant il a fait fréquemment très beau, mais qui ont plongé l’Allemagne, ce magnifique pays qu’aimait profondément Sébastien Haffner, dans le pire des cauchemars. Il faisait partie de cette cohorte d’allemands ordinaires (ils étaient pourtant 56% à voter contre Hitler, on nous le rappelle au passage) qui se virent peu à peu modeler jusqu’à devenir soutiens involontaires du nazisme. Et même les forces politiques présentes, qui auraient pu, qui auraient dû, agir, n’ont rien tenté, et parfois même se sont montrées complices de l’horreur grandissante.

La pièce semble la démonstration du fait que, dans l’Histoire, il n’y a pas de monstres venus d’ailleurs pour soumettre les humains, mais simplement des hommes qui, à un moment donné, n’ont pas fait ce qu’il fallait pour contrer la menace. « 

« Je laissais venir les choses. Elles sont venues. »

Le texte est dit avec, sans cesse, des hoquets d’émotion mais la volonté de relater les faits le plus précisément possible. Nous vivons ainsi l’Histoire, dans ses heures les plus sombres, à hauteur d’homme. Et ce qu’a vécu Sébastien Haffner paraît aussi dérisoire que d’assister à un tsunami en n’ayant pour arme qu’une petite cuillère.

Berlin 33 est une pièce forte et sobre qui nous laisse un goût amer en retrouvant le pavé parisien, et notre époque parfois si trouble.

Berlin 33, actuellement au théâtre de la Reine Blanche.

Si vous désirez aller plus loin :

Histoire d’un Allemand. Souvenirs 1914-1933, de Sébastien Haffner, aux éditions Actes Sud. 434 pages. 9,70€.

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