« Le fantôme du cinéma français : gloire et chute de Bernard Natan », de Philippe Durant

Les Français, c’est bien connu, ont la mémoire étonnamment courte en ce qui concerne leurs errances, erreurs et trahisons : il est pratique de se pardonner lorsqu’on fait mine d’avoir oublié ce qu’on a commis. C’est ainsi qu’il convient de commémorer l’esclavage, les colonies ou la rafle du Vel d’hiv pour que le quidam moyen admette l’idée que lui ou ses proches ont pu avoir, en ces circonstances, une quelconque responsabilité.

L’histoire que nous raconte Philippe Durant est de celles que les Français ont oubliées : la gloire et la chute de Bernard Natan qui fut, pourtant, l’un des plus grands producteurs de cinéma de l’hexagone.

Né Nathanaël Tanenzapf, dans la petite ville de Iasi, en Roumanie, en 1886, il vient en France très jeune, juste avant la guerre, s’engage en 1915 dans la légion étrangère pour combattre au front, et, en 1920, est naturalisé français sous le nom de Bernard Natan. Dès son plus jeune âge, Natan se passionne pour un art qui n’en est alors qu’à ses balbutiements, le cinéma, et il fonde sa propre maison de production. A la fin des années 20, il rachète Pathé, qui fut l’un des fleurons de la production nationale, et la sauve littéralement de l’effondrement.

Natan se montre un visionnaire des plus inventifs, il propose un catalogue des plus éclectiques, mixant l’audace et la popularité et puisant, pour se faire, dans le patrimoine de son pays d’adoption : Jeanne d’Arc, Les Trois Mousquetaires, Les misérables

Natan devine le cinéma de l’avenir et il est l’un des tout premiers à se lancer dans l’aventure du parlant. Les trois masques, produit par Pathé-Natan, est le premier film français cent pour cent parlant.

Seulement, au début des années trente, les vents sont contraires : entre la crise économique, la montée du nazisme et les approches de la prochaine guerre, il faut aux Français des boucs émissaires. De la même façon que, de nos jours, les complotistes s’inventent des responsables imaginaires de la pandémie, dans les années trente, les média cherchent un fautif à la récession qui se profile : pourquoi pas les juifs ? L’affaire Dreyfus n’est pas tout à fait enterrée et, après tout, il y a le précédent tout récent de l’escroc Stavisky.

En 1939, Bernard Natan est arrêté et jugé. On le condamne une première fois pour un détournement de fonds uniquement destiné à sauver son industrie paralysée par la crise, détournement qu’il reconnaît humblement. Mais on le condamne à nouveau pour la faillite de la maison Pathé, dont on le tient pour responsable. Il est alors livré à la vindicte des chroniqueurs fascistes de l’époque (Daudet, Rebattet, etc.), et accusé de tous les maux, y compris celui de s’être livré à des œuvres pornographiques ; accusation dénuée de tout fondement, mais qui lui vaudra d’être déchu de la nationalité française. Il ne sortira de prison que pour être livré aux mains des nazis qui vont le déporter à Auschwitz, dont il ne reviendra jamais.

Outre la redécouverte d’une personnalité oubliée par l’Histoire, le récit de Philippe Durand possède le charme de nous plonger dans une période riche et fascinante, ponctuée d’une myriades d’anecdotes inédites sur les films, les tournages ou les conditions de réception des œuvres, dressant ainsi un portrait passionnant du cinéma populaire.

Et puis aussi, ce récit démontre, à qui en douterait, que les nazis sont loin d’avoir possédé le monopole de l’antisémitisme à cette époque : les extraits de journaux et pamphlets français montrent que, de ce côté-ci du Rhin aussi, on était prêt à n’importe quel excès et atrocité. Quant au petit village natal de Nathanaël Tanenzapf, alias Bernard Natan, il subit, durant les années quarante, de la part des troupes roumaines converties à l’extrémisme, un pogrom au cours duquel 15.000 juifs trouvèrent la mort.

Les monstres sont  partout, et ressemblent même à des humains…

Le fantôme du cinéma français : gloire et chute de Bernard Natan, de Philippe Durant, aux éditions Manufacture Liv. 208 pages. 17,90€.

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1 commentaire sur « Le fantôme du cinéma français : gloire et chute de Bernard Natan », de Philippe Durant

  1. merci une fois de plus à Cultures J . VOUS VENEZ DE ME RENDRE CE DIMANCHE HEUREUX ET ENSOLEILLE PAR LA JUSTESSE DE VOTRE ARTICLE ET DE NOUS PERMETTRE DE TOUJOURS TOURS NOUS SOUVENIR
    Même et surtout étant « goy » et né avant guerre à Paris pendant ces années noires et horribles
    grâce à des parents normaux et donc humains ,j’ai par bonheur été étranger à tout ce qui pouvait être du racisme et de l’antisémitisme ce qui me permet de pouvoir être serein et de pouvoir me supporter
    bien évidemment je fonce acheter à la minute même le livre de Philippe Durant mon libraire à 50 mètres étant ouvert ce dimanche
    merci je suis toujours avec passion vos envois et je ne manque pas de les adresser à mes amis qui eux se trouvent être de confession Juive ,mais en province et ne recevant pas vos articles
    très chaleureusement et tendrement en 34 mes parents rue Voltaire ou je suis né avaient eu la visite de Stavisky et ses complices ,heureusement mon père s’était méfié et ma mère l’avait jeté merci d’avoir fait que mon dimanche soit un beau dimanche jean bouquin
    vous savez que l’inverse est aussi vrai beaucoup d’humains ressemblent à ces « montres « 

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