« Bronx » : Candide au pays des mafieux, ou une leçon de vie à tous les pères…

Quand Francis Huster est à l’affiche, il est difficile d’être totalement neutre tant ce comédien est lié à de très beaux souvenirs théâtraux. Il a aussi marqué une période de vie cinématographiques et télévisuels qu’on ne peut oublier.

Ses prestations dans Le Cid et dans Lorenzaccio en 1976, sublimissimes, ses films avec Claude Lelouch, ses accès de colère à la télévision, son visage qui, à ses débuts, l’ont fait paraître comme étant le clone de Gérard Philippe, ses allures de jeune premier… On ne peut en être indifférents, que l’on aime ou pas le comédien.

Le théâtre et le cinéma lui ont servi de « sortie de secours » sur un parcours personnel semé d’embûches et de drames, comme tout un chacun, et c’est la raison pour laquelle Huster nous paraît très humain, et très proche de son public. Il est vrai. Il est énormément vrai. Lors d’interviews, il ne se cache pas, il ne joue pas la star, et pourtant il pourrait. Mais non, c’est un homme de théâtre, et au théâtre, on ne joue pas la comédie, on joue la vie ! Quand Huster joue, il est ici, et maintenant, et pas ailleurs. Il donne tout !

Sociétaire de la Comédie-Française de 1971 à 1981, il enchante la salle parisienne avec Isabelle Adjani, son âme sœur, sa dame de cœur. Il forme un couple de théâtre, mais le rêve cessa d’un coup. Ils se font tous deux happer par le cinéma avec la carrière que nous leur connaissons. Et les
deux reviennent gagnants, en 2019, sur les planches de théâtre car le public, qui ne les a pas oubliés, les attends.

Mettons entre parenthèses le comédien et l’homme, et intéressons-nous à cette pièce, Bronx, bien connue des planches de Broadway. C’est d’abord un récit autobiographique, celui d’un jeune garçon des années 60, en plein essor de la mafia italienne aux États Unis. Mais ce n’est ni Le Parrain , ni Scarface. Steve Suissa et Francis Huster, en choisissant Bronx, nous offrent une ode à la différence, à la paternité et à l’amitié.

J’étais loin de penser alors qu’un jour je mettrais en scène ce texte magnifique rempli de pureté, d’humour et d’émotion… Et comme le hasard n’existe pas, c’est Francis Huster, mon père de théâtre, à qui j’ai confié la vie de ce personnage bouleversant. » Steve Suissa

Steve Suissa

Un récit très différent de ceux qu’on a pu voir ou lire sur la mafia aux Etats-Unis, mais les thèmes sont là : honneur, travail, famille. Dans Bronx, l’histoire de cet enfant contient une morale et un duel permanent entre le bien et le mal, deux thèmes abordés, émouvants et vrais tant Francis Huster, seul en scène, arrive à faire passer le message. Il donne vie à tous les personnages, et on le suit.

Deux visions de la vie : celle de l’école et du droit chemin, puis celle des pauvres gens qui tentent coûte que coûte de gagner leur pain à la sueur de leur front, sans sombrer dans l’obscurité de la rue et des mafieux qui passent leur temps à exécuter des contrats sur les ordres d’un caïd.

Un pan d’histoire de la communauté italienne des années 60 dans le Bronx nous est ici racontée au travers du regard de Calogero, neuf ans, qui hésite entre la vie de son père, honnête travailleur et père de famille, et celle du caïd du quartier, Sonny, qui semble bien plus prometteuse.

Le Bronx des années 1960 est un endroit exclusivement réservé aux américains d’origine italienne. Un quartier chaud. Le quartier italien de Belmont est sous la coupe de la mafia. Tout le monde se connaît et la terreur sévit. Le maître des lieux : Sonny, le chef du « secteur ».

Un garçon de neuf ans, Calogero, dit « Cologio », avec ses yeux d’enfant qui regardent tout sans se préoccuper des suites, assiste à un meurtre dont l’auteur n’est autre que Sonny. Interrogé par la police, sentant la peur de son père, honnête ouvrier, Calogero comprends qu’il faut mentir afin d’éviter le pire à sa famille et ne pas devenir un « mouchard ».

Sonny, relaxé par la police, homme d’honneur, le prend alors sous son aile et entreprend de faire son « éducation » à l’école de la rue. Il l’adopte et l’éduque comme s’il était son propre fils. Tardivement, le père comprends que son petit « bambino » se livre à des actes peu recommandables, et
fréquente des lieux de jeux. Il tente alors de lui expliquer les valeurs du travail et de l’honnêteté, démarche peu aisée car l’argent gagné facilement a séduit le garçon qui, à 17 ans, doit décider de la voie à suivre.

En bon père de famille, il va tenter en usant de mots qui peuvent paraître désuets (honnêteté, morale, honneur, travail) de faire revenir son fils vers le droit chemin.

Calogero : « Sonny a raison. C’est l’ouvrier qui est con. »
Lorenzo, le père : « C’est facile d’appuyer sur la détente. Il a tort. Mais se lever et aller travailler tous les matins pour essayer de survivre, ça c’est difficile. Oui, je vais te dire, c’est ton père le vrai dur. »

Mais quelle voie Cologio va t- il choisir ? Deux figures de père totalement différentes, mais malgré tout deux figures d’amour paternel. Pour l’adolescent c’est un dilemme shakespearien. Le jeune Calogero devra choisir entre une vie dure mais honnête, comme son père, ou une vie
dangereuse comme celle de Sonny, mais tentante…

Bien sûr, le jeune garçon, naïf, est attiré par cet homme qui le manipule comme il veut, le rend cupide au point que ce dernier finit par mépriser son père.

Cette histoire vraie a été adaptée au cinéma par Robert De Niro, qui interprétait le rôle du père. Il signait-là une superbe dédicace à son propre père.

Entièrement biographique, Bronx raconte l’enfance de Chazz Palminteri, devenu ensuite écrivain, acteur et réalisateur, petit garçon du Bronx né en 1952, là où se déroule l’histoire.

Comme toute histoire vécue, il y a de l’émotion, des mots qui touchent le cœur et nous rappelle notre propre réalité. On suit donc pendant 1h30, dans les yeux de cet enfant, le quotidien d’une famille d’immigrés italiens dans le Bronx de l’époque, où les mafieux étaient les rois et où la violence et le racisme étaient légion.

Mais au-delà de l’amour paternel, il y a une « ode » à l’amour de deux adolescents dont la couleur de peau est différente. Un amour capable de traverser ces barrières de la couleur pour en finir avec ce racisme si présent à cette époque.

Malgré l’absence de décor, on sent le quartier du Bronx. Francis Huster nous fait vibrer, sourire, et comme un magicien, chaque phrase sortant de sa bouche nous fait vivre le personnage qu’il interprète. Et il en va ainsi des dix-huit autres rôles qu’il endosse, de la baleine à Eddy le poisseux, en passant par Franky tranche de cake ou Phil le colporteur.

Il est seul sur scène, et remplit le vide de sa présence, de sa voix, de sa gestuelle. A 71 ans il reste le prince du théâtre. L’âge est mon talon d’Achille : « Il faut arrêter de me voir comme un éternel adolescent « , confiait-il au Figaro en décembre 2000.

Désolée Monsieur Huster, mais vous êtes infiniment jeune !  On vous dévore des yeux car vous êtes la défense du théâtre français, et on adore cela ! Vous illuminez notre tête longtemps après la fin de la représentation tant votre présence y était forte ! Francis Huster mérite pour des années d’être cet homme de théâtre qui peut encore faire venir la jeunesse vers le théâtre classique et moderne.

Voir un grand comédien faire son métier avec autant de talent, et sentir son jeu si proche de nous est un plaisir de vie qu’il ne faut pas manquer. Je vous incite donc à aller voir cette belle pièce qui est une véritable réflexion sur le rôle du père, et des valeurs de la vie.

L’interprétation magnifique est juste remarquable !

Bronx, actuellement au Théâtre Libre.

Si vous désirez aller plus loin :

Bronx, de Chazz Palminteri, aux éditions Avant-Scène théâtre. 80 pages. 11,00€.
La première famille : Giuseppe Morello et la création de la mafia sicilienne à New York, de Mike Dash, aux éditions Omblage. 432 pages. 24,00€.
Frères de sang. L’histoire de la mafia italo-américaine, de Caterina Bartoldi, aux éditions CreateSpace Independent Publishing Platform . 438 pages. 21,09€.

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