Bruno Abraham-Kremer au Petit Saint-Martin dans « L’angoisse du roi Salomon »

Je suis une grande admiratrice de Romain Gary. Je l’adore. J’aime son écriture, sa droiture, son élégance et sa drôlerie. J’aime aussi Bruno Abraham-Kremer, dont la troupe du Théâtre de l’Invisible fait un travail admirable pour mettre en avant, sur scène, les textes de notre si beau patrimoine français. Une troupe qui s’investit et qui le prouve en nous offrant à chaque fois une belle soirée de théâtre.

Cette fois, Bruno Abraham-Kremer a adapté L’angoisse du roi Salomon, dernier livre de Romain Gary, écrit en 1971 sous le pseudonyme d’Emile Ajar, un an avant son suicide. Ce « roi Salomon », qui défie la mort, c’est peut-être Romain Gary lui-même, qui veut vivre à fond le peu de temps qu’il lui reste. Et il s’imagine transmettant sa passion de la vie à un jeune homme, Jean… Jean est chauffeur de taxi, et il narre le récit à son fils.

L’angoisse du roi Salomon raconte l’histoire de Monsieur Salomon, qui a fait fortune dans le prêt-à-porter. Un juif de 84 ans qui n’a pas envie de mourir et qui, pour tromper son angoisse, aide les autres par ses largesses et la création d’un centre d’appel téléphonique. A l’époque, dans le Sentier, il était « le roi du pantalon ».

Monsieur Salomon va recruter Jean, qui va devenir son chauffeur et son livreur. Jean est un jeune homme plein d’empathie pour les autres, et Monsieur Salomon trouve en lui très certainement celui qu’il fut à son âge.

Une belle histoire d’amitié intergénérationnelle va alors se construire, les deux hommes rejoint par Cora Lamenaire, chanteuse et personnage très important pour chacun d’entre eux.

La chanson réaliste est un genre qui demande beaucoup de malheurs, parce c’est un genre populaire. C’était surtout à la mode au début du siècle, quand il n’y avait pas la sécurité sociale et qu’on mourait beaucoup de misère et de la poitrine, et l’amour avait beaucoup plus d’importance qu’aujourd’hui car il n’y avait ni la voiture, ni la télé, ni les vacances, et lorsqu’on était enfant du peuple, l’amour était tout ce qu’on pouvait avoir de bien.

Romain Gary n’a pas peur des sentiments, il s’y engouffre et nous offre de purs moments de bonheur, avec cet humour qui est l’un des principaux moteurs de son écriture. Un humour lui permettant bien souvent de mettre à distance le réel… pour parvenir à le rendre supportable.

Aujourd’hui, plus que jamais, on a besoin de retrouver ce goût de l’humain. Et tous les protagonistes sont si « hyper-humains ». C’est un récit haletant, mené tambour battant entre la rue du Sentier et les Champs-Elysées. Kremer nous invite à faire connaissance avec tous les personnages. Il est extraordinaire, joue tous les rôles avec force, leur insuffle la vie. C’est un exploit ! J’ai été bluffée par son interprétation. Il faut avoir de la santé, et Kremer en regorge, nous baladant entre le taxi et Salomon, entre Cora et Alice la libraire, sans oublier le « shouk ».

Le personnage le plus abouti est sans conteste Cora, la chanteuse. On l’imagine, tellement sa description autant physique que morale est d’une grande justesse, et ses répliques hautes en couleurs.

La mise en scène quant à elle tourne autour du décor, simple mais efficace. Des cubes qui sont tour à tour la librairie, l’association, la maison de Cora…

On rit beaucoup aussi, c’est vrai, car l’humour de Romain Gary est un humour « à la Juive », imprégné de dérision et de bons mots.

Ajar / Gary optimiste, oui dans les livres, rarement dans la vie. Dans sa langue gouailleuse, Jean parle, parle. Jean est un accroc du dico dans lequel il cherche toutes les solutions aux différents problèmes. Il fait connaissance de la libraire, s’ensuivent alors des jeux de mots étonnants. C’est un dragueur du temps passé, son discours démodé est charmant. La salle rit presque tout le temps. Ça fonctionne.

Je suis un fana des dictionnaires. C’est le seul endroit au monde où tout est expliqué et où ils ont la tranquillité d’esprit. Ils sont complètement sûrs de tout, là-dedans.

La bonté et la bienveillance de Salomon Rubinstein est insatiable et totalement désintéressée, mais s’il en est ainsi, c’est qu’elle provient d’abord d’une protestation. Est-ce que lorsque qu’on est vieux, on doit s’interdire tous les plaisirs de la vie et rester dans un coin à attendre la mort ? Non !

Il y a une scène très drôle où Salomon réclame, pour son 85ème anniversaire, d’aller « voir les putes ». Bruno Abraham-Kremer met le paquet, et on ne résiste pas à ce vieillard qui veut remplacer D.ieu qui fait si mal son travail ; du moins est-ce ainsi qu’un des personnages, Chuck, interprète la raison des largesses de Salomon, qui dépense sa fortune au bénéfice de l’association SOS-Bénévoles, fondée par lui-même.

Toute la pièce est traversée par l’humour étincelant de Romain Gary, ses mots fins, ses drôleries… Elle est une sorte de pied-de-nez à la Mort. Un humour dévastateur et puissant que l’on peut également retrouver dans La danse de Gengis Cohn.

Un beau moment de théâtre, à voir vite car peu de représentations seront données.

Myriam HALIMI pour Cultures-J.com.

L’angoisse du roi Salomon, actuellement au théâtre du Petit Saint-Martin. Informations et réservations sur le site du théâtre du Petit Saint-Martin.

Si vous désirez aller plus loin :

L’angoisse du roi Salomon, de Romain Gary, aux éditions Folio. 349 pages. 8,30€.
La promesse de l’aube, de Romain Gary, aux éditions Folio. 456 pages. 8,30€.
Le sens de ma vie : entretien, de Romain Gary, aux éditions Folio. 160 pages. 6,60€.
La danse de Gengis Cohn, de Romain Gary, aux éditions Folio. 352 pages. 8,90€.

Partagez vos impressions

Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.