« Cabaret » : les années 30 à Berlin, entre fête et descente aux enfers

Aussitôt qu’il a fendu le rideau doré et qu’il est entré sur scène, avec lui entre le malaise : on sait que l’on n’oubliera pas ce qui va suivre.

Il, c’est Sam Buttery, dans le rôle d’Emcee, le meneur de revue : énorme silhouette difforme, à la Fellini ou à la Almodovar, tout à la fois fascinant et grotesque, masse de chair blanche surmontée d’un crâne chauve et sanglée dans une robe noire à paillettes. Deux heures durant, du premier claquement des mains jusqu’à l’ultime silence, il va diriger la troupe.

L’histoire, on la connaît : la comédie musicale de John Kander et Fred Ebb date de 1966, le film qu’en a tiré Bob Fosse de 1973, et le succès ne s’est jamais démenti.

Clifford Brashaw, jeune écrivain américain — Christopher Isherwood, l’auteur du roman point de départ, lui-même — en mal d’inspiration se retrouve à Berlin au début des années trente. Il fait la connaissance de Sally Bowles, une chanteuse de cabaret dont il tombe amoureux, et il assiste à la montée du nazisme qui finira par le pousser à rentrer chez lui.

Berlin dans les années trente, c’est la ville de la fête : on danse, on chante, on boit, on fume, on se drogue, on joue.

Et sur scène, on assiste à cette symphonie du plaisir absolu : au son d’un excellent et percutant orchestre de jazz, la chair à la chair s’allie, celle des femmes, celles des hommes, sexualités et affinités mélangées sans pudeur ni censure.

L’ensemble est joyeux, tonitruant, cru sans être vulgaire, intrigant sans être déplacé. Mais des projections d’images d’actualité, incrustées dans le déroulement de la fiction, nous le rappellent : Berlin, dans les années trente, c’est aussi le chômage massif, l’inflation galopante, la misère, la famine, l’absence de logements. Nous sommes dans une ville où lorsque Herr Schultz, l’épicier juif, offre un fruit à la logeuse Fräulein Schneider, le cadeau est d’importance : un simple ananas vaut bien des bijoux.

Très vite, on comprend. La fête est trop « histrionesque » pour être honnête. La fête, c’est l’érosion systématique qui précède l’éruption volcanique, c’est le frisson des vagues avant le tsunami meurtrier, c’est à peine la caresse du zéphyr quand va surgir le cyclone. Et Clifford le pressent, même si, de son côté, Sally ne veut pas s’intéresser à la politique et à l’actualité.

Dans cet univers qui se dessine, il va de soi que jamais Fräulein Schneider, quels que soient les sentiments qu’elle éprouve, ne pourra épouser Herr Schultz : il est juif !

La fête se fait soudainement glaçante lorsque des jeunes hommes vêtus de brun se lancent dans une parodie de saluts nazis.

On hésite à applaudir tant le spectacle se tient ici sur une sorte de corde raide de la décence et de l’acceptable. Mais, à l’évidence, ce travail est maîtrisé et l’angoisse est savamment distillée, peu à peu, jusqu’à l’apothéose d’un final où sont projetées les images des dictateurs les plus sanglants que l’Humanité ait pu produire.

« La vie est un cabaret » : Hitler, Staline, Mao, Fidel Castro, et tous les autres en ont été les témoins et les acteurs…

Cabaret, actuellement au Lido 2.

Incoming search terms:

  • https://cultures-j com/cabaret-le-musical/

Partagez vos impressions

Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.