16 et 17 juillet 1942 : la rafle du Vél’ d’Hiv, vue par Cabu…

Il y a quatre-vingts ans, les 16 et 17 juillet 1942, en France, en plein Paris, 12.884 hommes, femmes et enfants, qui n’avaient commis pour seul crime que d’être nés juifs, furent arrêtés, à leur domicile, par la police française, et conduits de force au Vélodrome d’Hiver, comme si la mort et la détresse se livraient à quelque sinistre activité sportive.

De cet événement, durant plus de vingt-cinq ans, on ne parla plus, comme si l’on voulait soigneusement enterrer la honte qui l’entourait ; on prétendit même, longtemps, que seules les forces d’occupation en étaient responsables.

Il fallut attendre 1967 pour que deux anciens résistants et déportés, Claude Lévy et Paul Tillard, décident de rassembler les documents et témoignages pour narrer ce qui s’était passé. Et il fallut attendre le 16 juillet 1995 pour que Jacques Chirac admette publiquement la responsabilité du régime de Vichy et de la police française.

L’Histoire est parfois cynique : lorsque paraît l’ouvrage de Claude Lévy et Paul Tillard, La grande rafle du Vél’ d’Hiv, 16 juillet 1942, c’est un hebdomadaire à sensation, aux tendances politiques nettement réactionnaires, Le Nouveau Candide, qui décide de s’en faire l’écho. Et, pour mieux frapper les esprits, de faire appel aux services d’un certain Jean Cabu. Cabu est encore un tout jeune dessinateur, il a vingt-neuf ans et, lorsqu’il découvre le récit des événements de juillet 1942 que, comme beaucoup de français à l’époque, il ignore, il en est bouleversé.

Cabu est dessinateur de presse, ce qui signifie que son trait se doit d’être précis, rapide et efficace. Il est journaliste, mais lui, son langage, c’est le dessin. « Un dessin, cela ne se raconte pas, cela se regarde » a-t-il coutume de dire.

Cabu sait faire rire ou pleurer sans emphase ni délai, il sait dire sans les mots, s’exprimer sans les phrases. Parler mais parler au cœur, aux tripes, à la sensibilité.

En seize dessins réalisés à la plume, au stylo iso-graphe et à l’encre de Chine, il raconte le malheur, l’abjection, l’horreur, mais à hauteur d’homme, comme vu de l’intérieur, au plus près des victimes.

Un homme est seul, en pleine rue, écrasé par la perspective en plongée, empêché de s’échapper par les ombres menaçantes de cinq solides gaillards vus de dos, donc dans la même position que le spectateur du dessin. Dans un coin, à une fenêtre close, un rideau à peine soulevé laisse deviner le visage d’un voyeur prudent qui se gardera bien d’intervenir. Au fond, à un croisement, un camion stationné symbolise l’enlèvement qui va avoir lieu. Tout est dit, sans emphase, sans éléments parasites, sans lyrisme.

Une lueur aveuglante montre la police Aux portes des victimes, tandis qu’en haut du dessin, sur le toit, les ombres fragiles d’un homme tirant son enfant et de son épouse portant un bébé, tentent de s’enfuir, par avance condamnées à l’atrocité.

Sur cet autre dessin, la porte cochère d’un immeuble, à demi-ouverte, laisse voir des arrestations en pleine rue tandis qu’une petite fille est terrée, apeurée, dans un recoin d’ombre, serrant sa poupée et priant sans doute pour que nul n’aperçoive l’étoile juive sur sa poitrine. Ailleurs, les victimes s’avancent depuis le fond de l’image, entourées par deux rangées de policiers, comme si elles allaient disparaitre dans une sorte de goulot d’étranglement tout en bas du dessin. Ailleurs encore ces victimes sont assises sur les bancs rudes d’un commissariat, surveillées par un policier dont on ne voit que les grosses mains serrées l’une sur l’autre dans le dos, symboles d’oppression et de violence sourde.

Dans L’épicerie en face du Vél’ d’Hiv‘, les mères de famille, portant leur enfant, se précipitent pour acheter de quoi manger à leur progéniture, tandis que des miliciens furieux tentent de les intercepter.

Toute l’émotion de ces dessins et de cette belle exposition, œuvre de l’historien Laurent Joly et de la veuve de Cabu, Véronique Cabu, est d’autant plus perceptible que Cabu lui-même a été victime en 2015 de la folie meurtrière des hommes.

Une façon de rappeler que la lutte contre les extrémismes religieux et politiques est l’affaire de tous.

On notera également que le commissaire de l’exposition, Laurent Joly, est par ailleurs l’auteur d’un documentaire consacré à la rafle du Vel’ d’Hiv’, La honte et les larmes, diffusé le 11 juillet sur France 3.

Cabu. Dessins de la rafle du Vel’ d’Hiv, jusqu’au 7 novembre 2022 au Mémorial de la Shoah.

Si vous désirez aller plus loin :

Je vous écris du Vel d’Hiv’. Les lettres retrouvées, de Karen Taïeb au éditions J’ai lu. 217 pages. 5,60€.
La grande rafle du Vel’ d’Hiv’, de Claude Lévy et Paul Tillard, aux éditions Tallandier. 291 pages. 10,00€.
Cabu. Dessins de la rafle du Vel’ d’Hiv’, de Cabu et Laurent Joly, aux éditions Tallandier. 56 pages. 18,00€.
La rafle du Vel’ d’Hiv’. Paris, juillet 1942, de Laurent Joly, aux éditions Grasset. 400 pages. 24,00€.

Et pour la jeunesse :

Après la rafle, album collectif, aux éditions Les arènes. 123 pages. 21,00€.

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