« Ces excellents français. Une famille juive sous l’Occupation » : le témoignage familiale d’Anne Wachsmann

Partir d’une micro-histoire familiale privée pour aboutir à un ouvrage complet, documenté, commenté et illustré sur le destin de juifs durant la Seconde guerre mondiale, tel est la pari d’Anne Wachsmann, avocate et professeure au Collège d’Europe à Bruges.

Le titre de l’ouvrage, Ces excellents français. Une famille sous l’Occupation fait référence à la chanson de Maurice Chevalier de 1939, et il est préfacé par Jean-Louis Debré.

Anne Wachsmann a du affronter plusieurs problèmes méthodologiques. Elle s’est énormément documenté par le biais de récits et des textes d’historiens (André Caspi, Annie Kriegel, Anette Wievorka, Claire Zalc… entre autres), mais aussi des écrivains ou des témoignages tels que Perec, Modiano, Sinclair, Badinter. Elle a du apprendre à se démêler parmi les chapelles et les querelles d’école et, dans le même temps, manier empathie et distance, tendresse et ironie pour restituer son histoire familiale à travers une  étude régionale — et non pas générale — particulièrement complexe : celle des juifs d’Alsace.  

Une autre de ses difficultés a été de garder sous silence l’élaboration de ce livre, sans même en parler à son père. Passer  de l’individuel au collectif a été une gageure qui l’a amené à faire des recherches très approfondies et complètes pendant cinq années.

La question centrale réside dans la tentative de comprendre le contournement d’une famille — la sienne — face  aux mesures antisémites, et l’évocation du sort d’une famille ordinaire ayant réussi à déployer des stratégie de survie. Cette famille est constituée, du coté maternel, de ses grands parents Adolphe et Martha Franck, qui eurent quatre enfants : Ernest, Paul, Robert et Lise. Du coté paternel, Léopold Wachsmann et Lise née Franck, ainsi que leur fils Jean- Paul, père de l’auteure. 

Il y eut au départ l’intuition de son grand-père, Adolphe Franck, qui a préparé et anticipé cet exil précoce et leur  installation vers une petite ville de l’Allier, Neris-les-Bains, où ils vécurent tous pendant la guerre dans une semi clandestinité épuisante, s’adaptant à un quotidien bouleversé pour sauver leur peau. L’usage courant de faux-papiers dus au flou et à la disparité des titres non-uniformisés a aidé la famille à survive et à continuer à travailler malgré le numerus clausus imposé aux juifs. Poldi travaillant dans la magistrature, il se déplacera dans différentes villes et se battra pour conserver son travail malgré les lois restrictives de Vichy, transformant son nom de Wachsmann en Willemain.

À l’aide de documents, d’archives de photos ou de lettres, Anne Wachsmann a suivi scrupuleusement les différents déplacements de sa famille, qui sont en fait des pôles de regroupement pour les juifs.

Adolphe Frank, en véritable self-made-man issu d’une grande famille bourgeoise strasbourgeoise réussit, grâce à son affiliation à la franc-maçonnerie et à son discernement, a conserver son poste et a faire fructifier ses affaires. La famille a prôné tout au long de leur vie trois valeurs capitales : solidarité, charité, fraternité.

Anne Wachsmann évoque toutes les fluctuations de l’Alsace-Lorraine, allemande depuis 1871 jusqu’en 1918, avant de devenir française à nouveau en 1918. Elle y évoque l’exode forcé de milliers d’allemands qui seront expulsés hors d’Alsace, nommés Aludeutsche, et qui auront du mal à s’intégrer dans les différent lieux d’accueil, parlant à la fois mal le français, et considérés comme des « boches », qu’on appelait les « yayas ».

Elle exhume un jour « le carton des miracles » dans lequel elle retrouve des documents, des dessins d’enfant et surtout une centaine de cartes postales  échangées entre le petit Jean-Paul et son père Léopold. Ce sont des cartes postales dites d’enfant, du style « Poulbot » avec des animaux , qui constituent la source première de cet ouvrage. Elles émanent de personnages de Walt Disney, très populaires à l’époque grâce au journal de Mickey. Les cartes sont en lien avec ce qui est écrit, et à forte charge éducatrice et  moralisatrice.

Léopold s’adresse toujours à son fils Jean-Paul en l’appelant Mon petit coco. En témoignent ces quelques mots :

« Mon cher petit coco, je t’envoie à nouveau une belle carte.

Continue à bien obéir. Papa m’écrit ce matin que tu es bien sage et que tu manques de rien. Bientôt il fera beau et nous jouerons alors de nouveau ensemble, tu veux ?

Continue à être bien gentil. Papa est aussi triste sans Jean-Paul et sa maman. « 

Le ton y est affectueux, plein d’événements du quotidien,  mais toujours marqué par une certaine austérité. Il n’est jamais question de guerre dans ces cartes postales qui se placent hors du temps. Elles datent de leur première séparation, quand Jean-Paul a été placé dans un home d’enfants en Suisse alors que son père, devenu Inspecteur à la Fiduciaire de France à Marseille, voyageait  souvent pour des raisons professionnelles.

Les récits familiaux alternent avec des considérations socio-politiques sur l’époque et des questionnements, résumés ainsi par Robert Badinter : « Au nom de quels principes le juif devrait t-il faire l’objet de mesures discriminatoire, réductrices, spoliatrices ? »

Anne Wachsmann décrit la morne vie dans ce village de l’Allier, cette terra incognita dans laquelle la famille a vécu en résidence forcée, loin du tumulte de la guerre.

Les autres thèmes traités, toujours à la lumière de l’histoire familiale, sont l’aryanisation des biens juifs ; le ravitaillement avec l’instauration d’une carte individuelle d’alimentation selon les différentes catégories ; le recensement intensif ; les différents statuts entre les juifs de souche et les autres, naturalisés ou étrangers ; les décrets de juin 1940, où les juifs sont officiellement exclus de la fonction publique, de l’enseignement, de l’armée ainsi qu’un numerus clausus pour les professions libérales et culturelles. Elle évoque également le poids de la presse française, foncièrement antisémite, sous le contrôle du gouvernement, de plus en plus virulente contre les juifs ainsi que l’abominable exposition Le Juif et la France, mais aussi la projection de l’odieux film Le juif Süss, diffusé non-stop en France depuis 1941. De nombreux journaux fleurissaient, notamment la revue allemande Signal, magazine de  propagande nazie, ainsi que l’ouvrage nauséabond qui devient le best-seller de l’occupation, Les décombres, de Lucien Rebatat. Au-delà de la presse, même la philatélie, à l’effigie de Pétain, devient un  formidable vecteur de propagande.

A Néris-les-Bains, occupée par la suite par les allemands, les premières expulsions et arrestations des juifs étrangers, puis français, eurent lieu en 1942, avec la loi imposant la mention Juif sur les cartes d’identité ; on peut situer l’année 1942 comme la plus dangereuse par les déportations, plus nombreuses, les différentes vagues de rafles, et des déportations massives organisées en grande partie par la Milice Française.

Anne Wachsmann, à propos de la vilaine besogne de la police française, rappelle les propos de Jacques Chirac : « La France, patrie des lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France ce jour-là, accomplissait l’irréparable… »

Elle revient sur le mythologie familiale, une famille de juifs inclassables, et le questionnement sur le fait que dans sa famille, personne ne s’était fait recenser et s’était abstenu de respecter les mesures imposées aux juifs. Et ceci grâce aux différents faux-papiers, peut être aussi à son adhésion à la franc-maçonnerie et à la précaution et l’anticipation qu’a toujours eu la famille. Nous suivons les périples de la famille Wachsman en plein cœur de l’Occupation, qui va les conduire de Néris-les-Bains, à Agen, puis Toulouse et enfin Grenoble.

« Ma famille appartient  à cette catégorie de juifs de souche, assimilés, acculturés, héritiers de la tradition de l’émancipation, privilégiant l’intégration à la Nation et un loyalisme sans faille à la Patrie ; la religion de cette perspective n’est que secondaire. »

Anne Wachsmann.

Les enfants du grand-père Adolphe, Ernest, Paul et Robert, s’engagent alors dans la Résistance en grand secret, et ils firent de brillantes carrières après la Libération. Jean-Paul eut à Agen une scolarité quasi-normale avec salut aux couleurs, allégeance à Pétain et astreint aux nouvelles propagandes du régime.

En mai 1943, nouveau déménagement à Grenoble, marqué par l’instauration du STO, l’arrivée de l’antisémite acharné Darquier de Pelpoix au Commissariat Général aux questions juives, et par la montée en puissance de la Milice qui fait régner la terreur. Mais le choix d’Adolphe se porte sur Grenoble, alors sous contrôle italien, et donc plus et clémente pour les juifs. En effet, plus de 3.000 juifs afflueront à Grenoble à cette époque-là. Mais hélas cette courte période de répit appelée « le paradis des juifs » ou la « micro Palestine » ne sera que de courte durée. La Gestapo s’installera à nouveau à Grenoble  avec la création de la section anti-juive de la police allemande, dirigée par le redoutable Alois Bruer. Un homme qui fera régner la terreur, assassiner froidement des juifs ou ceux qui leur viennent en aide, pratiquera des spoliations suite à l’aryanisation massive, et ce jusqu’aux derniers jours de l’occupation de Grenoble.

La famille Wachsmann sera enfin soulagée après six longues années d’errance et de changement de lieux, mais tous resteront vivants jusqu’au décès du grand père Adolphe en janvier 1945, survenu à Neris-les-Bains. Il était âge de soixante-cinq ans, et ne reverra jamais Strasbourg. Une ville qu’ils se ré-approprieront à partir de l’été 45, après six ans d’absence.

Poldi reprendra son métier d’avocat, et la villa d’Adolphe sera récupérée par ses trois fils. La plupart des biens juifs spoliés seront assujettis à une procédure complexe de restitution et d’indemnisation.

L’Alsace aura payé un lourd tribut de la guerre par le recrutement de force dans la Waffen SS d’alsaciens obligés de servir dans les camps nazis, et par une épuration envers les alsaciens forcés sous la menace de s’engager dans le parti allemand. Le conflit aura fait en France 75.721 déportés entre 1941 et 1945, soit 25% de la population juive du pays.

Ces excellents français. Une famille juive sous l’Occupation est un ouvrage dense, d’une grande érudition, et d une écriture fluide qui nous fait partager un pan capital de notre histoire, à partir de l’épopée d’une  grande famille d’origine allemande et polonaise préservée du pire grâce à une solidarité à toute épreuve, et une prudence sans faille.

Ces excellents français. Une famille juive sous l’Occupation, d’Anne Wachsmann, aux éditions La nuée bleue. 300 pages. 25,00€.

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