
« Das unwort », c’est le mot tabou, celui qu’on ne prononce jamais bien qu’on en connaisse l’existence, le mot qui fâche et dont on tâche, par le silence, d’atténuer l’effet.

Dans une école comme toutes les écoles du monde se réunit un soir, après les cours, un conseil de discipline destiné à statuer sur le sort du jeune Max Berlinger, accusé d’avoir mordu l’oreille de l’un de ses condisciples.
Sont réunis pour l’occasion les parents du jeune homme, Monsieur Stege, le proviseur, Madame Ritter, une enseignante, et une inspectrice venue de l’extérieur pour présider la séance, le docteur Nüssen-Winkelmann.
Personne d’autre : ni enseignants, ni élèves, ni responsables, ni même les parents de la jeune victime. Alors, pour faire nombre, on a cru bon de convoquer l’homme à tout faire du lycée, Monsieur Eichmann, tout penaud d’être présent, d’autant qu’il est conscient de porter un nom de sinistre mémoire.
La situation est parfaitement théâtrale : un huis-clos, des dépositions, explications et débats, interrompu par des flash-backs de scènes scolaires.
Et peu à peu vont surgir les tristes circonstances de l’incident : dans cette école comme toutes les écoles du monde, depuis plusieurs mois, le jeune Max Berlinger subit des agressions répétées et parfois des plus violentes parce qu’il est juif. S’il s’est montré aussi violent, c’est en réponse à une situation agressive et anxiogène.
On explore ainsi, à travers les scènes quotidiennes, les facette insidieuses de cet antisémitisme qui gangrène l’ensemble du corps social : clichés traditionnels, éléments de révisionnisme historique, utilisation de sources discutables mais admises sans esprit critique. Tout l’apparat d’un antisémitisme sournois devenu un vrai fait de société. Tout est toujours, de l’avis général, la faute du juif, même si l’on évite d’utiliser le mot, « das unwort », et que l’on se réfugie derrière l’hypocrisie et la lâcheté.
Pour autant, le film de Léo Khasin ne tombe jamais dans le plaidoyer lourd. D’une part, on demeure, à travers les personnages, le jeu des comédiens, et la réalisation, dans la comédie. D’autre part, le scénario prend soin d’aborder, sans insister, l’extrême complexité des positions de chacun : tous sont susceptibles, à un moment ou à un autre, de verser dans l’ostracisme, le refus de l’autre, la caricature agressive. Selon les circonstances, selon leur interlocuteur, selon le moment.
C’est la société — ici, allemande, mais bon nombre d’autres pays seraient concernés — qui fait perdurer la notion de normalité d’une origine ethnique sur les autres. Et la seule revendication du film est portée par Max, le jeune garçon qui est présenté en conseil de discipline :
« Je voudrais juste être comme tout le monde, et ne plus vivre dans la peur. »
Rien de plus légitime que cette aspiration, pourrait-on penser, mais le film montre bien la difficulté de retirer le venin mortel dans la plaie encore béante de l’Histoire et comme il peut arriver, au quotidien, que la bête immonde prenne les traits d’une mauvaise blague commise par un gamin.
Das Unwort, de Léo Khasin.
Si vous désirez aller plus loin :
Kaddish pour un ami, de Léo Khasin. DVD. 95 minutes.
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