Entre poésie et humour : « En ce temps là, l’amour », le chef-d’oeuvre de Gilles Segal

C’est l’Histoire, la grande, avec ses convulsions, ses rages et ses absurdités, mais vue à hauteur d’homme. Et quelle meilleure manière existe-t-il de comprendre l’Histoire, la prendre à bras-le-corps, faire corps avec elle, que de la voir à travers les yeux de l’homme, les yeux de l’enfant ?

Les catastrophes ne sont pas des chiffres, elles sont des êtres humains. Elles ne sont pas des statistiques, elles sont des souffrances, des peurs et des larmes.

Cette pièce de Gilles Segal, dans la très belle mise en scène de Christophe Gand et avec l’interprétation magistrale de David Brécourt, est d’autant plus une réussite que, disons-le tout net, il n’était pas à priori évident de faire une énième pièce sur le thème de la Shoah, qui plus est un monologue d’homme, comportant une allusion au thème de l’enfance qui ne peut pas ne pas évoquer le chef d’œuvre de Roberto Benigni La vie est belle. La gageure était d’importance.

Le décor est un atelier d’horlogerie. Toutes les pendules qui tapissent le mur sont brisées, en miettes, inutiles. C’est que le temps s’est arrêté pour cet homme seul, le temps s’est suspendu à ce qu’il va révéler de son passé, au témoignage qu’il va enregistrer. Sur la table devant lui, un magnétophone : c’est au micro qu’il fait sa confidence, même si nous sommes présents. On ne nous parle pas, on nous autorise à assister. Plus tard seulement, à la fin de la pièce et de tout aveu, on entendra à nouveau le battement d’une horloge, comme si, à nouveau, il était possible de vivre.

Cette pièce en sept jours, correspondant aux sept journées d’enfer vécues par le personnage narrateur – comme une étrange création de la (sur)vie, –  cette pièce nous dit l’indicible puisque le nom même du but sera gommé, omis, suspendu, au tout début.

Jusqu’à ce qu’enfin, à l’issue de la pièce, le nom apparaisse, « Auschwitz », parce que l’homme aura trouvé moyen de parler de ce qui, précisément, échappe aux mots.

Dans cette étrange et labyrinthique mise en abîme, un homme parle à son fils qui vient lui aussi d’avoir un fils, et il parle d’un homme qui avait un fils, lequel n’en aura jamais. Les voix se chevauchent, s’interpénètrent, se justifient et s’accordent comme dans une fugue de Bach. Et l’on apprendra au passage que D.ieu, comme les dictateurs, n’a pas le sens de l’humour, et que si nous avons un but sur cette Terre, ce ne peut être que celui de ridiculiser la mort.

Car cette pièce se permet le courage insolent d’être parfois drôle : la mort même peut-être comique, la souffrance peut faire rire, et c’est notre seul luxe d’être (encore) humain.

Le texte de Gilles Segal est très écrit, sans pathos ni facilités, et l’immense comédien qu’est David Brécourt lui donne vie. Il est, tout le long, impeccable d’émotion retenue et de virtuosité discrète. Il ne joue pas, il est dans son bureau, et il raconte ce que furent sa misère, ses peurs, et ses si minces espoirs. Le tout dans une mise en scène simple, efficace, méthodique, qui joue de l’espace et de la scénographie raffinée.

Il faudrait l’âme bien vile et le cœur bien dur pour ne pas écraser une larme, comme le fait le comédien lui-même à l’issue de sa prestation.

En ce temps-là, l’amour, actuellement au théâtre de La Madeleine.

Si vous désirez aller plus loin :

En ce temps-la, l’amour, de Gilles Segal, aux éditions Lansman. 40 pages. 10,00€.
Holocauste, une nouvelle histoire, de Laurence Rees, aux éditions Livre de Poche. 872 pages. 9,90€.
Histoire de la Shoah, de Georges Bensoussan, aux édition PUF. 128 pages. 9,00€.
Atlas de la Shoah. La mise à mort des Juifs d’Europe. 1939-1945, de Georges Bensoussan, aux éditions Autrement. 96 pages. 19,90€.

Et pour la jeunesse :

La Shoah, des origines aux récits des survivants, de Philip Steele, aux éditions Gallimard jeunesse. 96 pages. 19,95€.
Histoire de la Shoah : de la discrimination à l’extermination, de Clive A. Lawton, aux éditions Gallimard jeunesse. 8 pages. 14,00€.
Auschwitz, de Pascal Croci, aux éditions EP. 64 pages. 16,00€.

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