« L’étoile blanche », l’histoire méconnue et exceptionnelle de Madeleine Fauconneau du Fresne

« Que l’honneur de ton prochain
te soit aussi cher que le tien.« 

Le Talmud, Pirké Avot.

Si nous vous disons que ce livre se lit comme un roman, vous en serez bien étonnés au vu du thème : la déportation des Juifs et la collaboration durant la Seconde Guerre Mondiale.

Cependant, à chaque page, l’héroïne, Madeleine Fauconneau du Fresne, nous paraît être une amie ; une amie qu’on a toujours connue, représentant ce genre de femme ayant du caractère, de la bonne éducation, et qui, grâce à leur origine de naissance, pouvaient se permettre ce que d’autres ne pourront jamais. L’étoile blanche, ce sont ses mémoires, écrites et publiées en 1947. Un document poignant.

Bien après la mort de Madeleine, son petit neveu, Emmanuel Rougier, trouve par hasard son livre. Conscient de l’importance de ces Mémoires pour l’Histoire, il entreprend sa retranscription, les commente, puis décide de les publier.

À caractère historique de grande valeur — dont le témoignage sur le camp de Beaune-la-Rolande —, revêtu d’une dimension spirituelle bouleversante, L’étoile blanche va marquer le lecteur et faire réfléchir sur la vie en générale, sur le sens de l’amitié et de l’honneur en particulier.

Madeleine Fauconneau du Fresne y relate ce qu’elle a vécu pendant ces années noires où la collaboration — avec la « diarrhée verte », allusion aux uniformes de l’armée allemande — et la Gestapo détruisaient la France, mais aussi l’arrestation de son amie Yvonne Netter, internée au camp de Pithiviers. Un camp dont elle réchappera grâce à la persévérance de Madeleine, et son propre emprisonnement. Yvonne Netter faisait partie d’un réseau de Résistance, et dès son arrestation, Madeleine n’aura qu’un but : la sauver. Elle paie les gendarmes pour la voir, et les deux femmes se retrouvent grâce à l’aide de la communauté des Filles de la Charité de l’hôpital de Pithiviers.

L’auteure évoque également sa rencontre avec le célèbre pianiste virtuose Léon Kartun, dont les mains furent abîmées par tous les travaux forcés et qui subit un lavage de cerveau de la machination nazie. Le musicien s’en sortira mais totalement brisé, et abandonnera la musique après avoir offert de multiples concerts aux déportés, dont s’occupe sans relâche sœur Marguerite-Marie. En dépit de tous les malheurs et les maladies qu’elle côtoie, la religieuse est altière, digne et émouvante.

Le 28 février 1943, l’hiver est là. Malgré une angine carabinée, Madeleine se lève pour aller visiter « ses malades », leur tenir compagnie et les soulager.

Mais le 28 février 1943 est aussi la date fixée pour transférer l’ensemble des malades à Beaune-la-Rolande, camp de triage constituant l’avant-dernière étape avant Drancy, et la Déportation. Yvonne n’y survivrait pas.

Comme à son habitude, Madeleine se tourne vers D.ieu et lui demande l’Inspiration : comment l’aider ? Comment faire sortir tous ces gens de ce destin inéluctable ? D.ieu va entendre sa demande. Grâce à Léon Kartun, Madeleine parvient à faire sortir Yvonne. Mais à quel prix ?

Qu’adviendra-t-il de Madeleine ? Sa grandeur d’âme, son amour de D.ieu et sa force l’ont conduit à faire des choses qu’elle-même ne pensait pas atteindre. Elle, qui croit aux miracles, fait jaillir ces miracles pour sa survie. Elle trompe l’ennemi, et parvient à faire déchirer l’ensemble de ses courriers préjudiciables en bluffant. Et quel bluff !

Lors d’un interrogatoire, Madeleine réussit à compromettre son accusateur et retrouve, pour quelques temps, une liberté surveillée. On l’emmène « vivre avec les Juifs qu’elle aime tant« , au camp de Beaune-La-Rolande, où le pire s’annonce. Elle va tenir tête à tous les hommes qui s’approchent d’elle, et tire sa résistance de son introspection intérieure.

D.ieu avait changé sa vie, elle aussi « devait être un instrument de reconstruction dans ce monde à l’envers« . On lui assigne une étoile blanche qu’elle porte comme une médaille, la tête haute toujours haute.

« Je suis amie des Juifs, l’étoile blanche dit la vérité, je ne vous renierais pas. »

Madeleine Fauconneau du Fresne.

Très peu connaissent l’existence d’une « étoile blanche ». Peut-être parce que Madeleine fut probablement la seule à la recevoir… et la porter. D’autres « amis des Juifs » portèrent une étoile, jaune celle-ci, jaune avec un bandeau sur lequel était précisément inscrit « Amis des juifs ».

Gageons que L’étoile blanche mette en lumière le panache et le mérite de Madeleine Fauconneau du Fresne, mais aussi celui de Lise Pinguet et d’Yvonne Netter, trois femmes exemplaires.

Cependant, L’étoile blanche comporte également des pages cruelles dans lesquelles se mêlent détresse, bienveillance et compassion. L’auteure nous brise le cœur lorsqu’elle nous égrène le nom des enfants : Betty, Bernard, Thérèse… qu’elle rencontre sur son chemin, nous confiant un peu de leur petite vie. Au final, ces petites âmes mourront quelques mois plus tard dans les camps de la mort, dans les conditions effroyables que nous connaissons.

Madeleine est une grande Dame, Résistante malgré elle. En sauvant ses amies, c’est elle aussi qu’elle sauve. Elle tente de comprendre le pourquoi de la haine, de la délation, de la guerre. Elle nous livre la vie quotidienne de cette France divisée. Chaque ligne nous confie les malheurs de tous ces gens et de tous ces enfants internés, puis déportés. Elle dresse pour chacun un portrait succinct mais Ô combien attachant.

Plaque commémorative située au N° 3 Quai aux Fleurs, dans le 4ème arrondissement de Paris.

Le lecteur ne manquera pas d’être tour à tour ému, remué, bouleversé, choqué, attendri… par la chanteuse lyrique qui s’exerce pour ne pas perdre sa voix ; par le juif pieux qui ne veut pas manger de nourriture non-cacher et finit par mourir de faim ; par la Comtesse, vêtue telle une Amazone et qui choque les hommes autant que les femmes ; par la prostituée qui sympathise avec Madeleine qui l’initie au féminisme ; par la petite Thérèse âgée de deux ans seulement, et qui appelle « papa » tous les hommes qu’elle rencontre ; par Léon, le stoïque pianiste qui ne dit jamais rien — sauf pour donner sa recette du « bœuf en Daube » — et protège ses mains de virtuose ; par Bernard, le diabétique qui ne fait pas son âge, sans doute le préféré de Madeleine, Bernard qui chasse les poux, résista à sept internements mais qui, affaibli par la maladie et le manque d’hygiène, mourra à son arrivée à Auschwitz ; par Betty, l’une des dernières enfants de la Rafle du Vel’ d’Hiv, gazée le 3 août 1944. Des enfants qui paient pour la folie des hommes.

Yvonne Netter, grande figure féministe, avocate et Résistante, continuera son combat pour les femmes jusqu’à sa mort en 1985. Quant à Lise Piguet, l’amie intime, Résistante elle aussi, « sauveuse » de Juifs et de nombreux pilotes alliés, elle sera déportée à Ravensbrück d’où elle ne reviendra pas.

Madeleine Fauconneau du Fresne a été reconnue Juste parmi les Nations en août 2018. Une femme d’inspiration qui mérite d’être connue, comme tous les héros et héroïnes qui l’ont côtoyée.

Merci à cette femme, à qui nous dédions en ce jour de l’International Holocaust Remembrance Day cette phrase de Vladimir Jankélévitch :

Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. »

Vladimir Jankélévitch.

L’étoile blanche, de Madeleine Fauconneau du Fresne, aux éditions Edisens. 264 pages. 19,00€.

Si vous désirez aller plus loin :

Holocauste, une nouvelle histoire, de Laurence Rees, aux éditions Livre de Poche. 872 pages. 9,90€.
Histoire de la Shoah, de Georges Bensoussan, aux édition PUF. 128 pages. 9,00€.
Atlas de la Shoah. La mise à mort des Juifs d’Europe. 1939-1945, de Georges Bensoussan, aux éditions Autrement. 96 pages. 19,90€.

Et pour la jeunesse :

Si je reviens un jour. Les Lettres retrouvées de Louise Pikovsky, de Stéphanie Trouillard et Thibaut Lambert, aux éditions Des ronds dans l’O. 112 pages. 20,00€.
La Shoah, des origines aux récits des survivants, de Philip Steele, aux éditions Gallimard jeunesse. 96 pages. 19,95€.
Histoire de la Shoah : de la discrimination à l’extermination, de Clive A. Lawton, aux éditions Gallimard jeunesse. 48 pages. 14,00€.
Auschwitz, de Pascal Croci, aux éditions EP. 64 pages. 16,00€.

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