« Figure d’artiste » : une histoire du portrait au Musée du Louvre

Dans le cadre somme tout intimiste de sa petite galerie, le Louvre a réuni des « figures d’artistes ». Autant de portraits dressés de l’homme par l’homme et qui, au fur et à mesure d’un parcours, certes rapide mais néanmoins chronologique, de l’antiquité égyptienne à la toute fin du XIXème siècle, met l’accent sur un fait aujourd’hui bien oublié : l’artiste ne fut pas toujours ce qu’il nous paraît à présent.

L’image iconique du créateur du XXIème siècle, ce Prométhée ombrageux et égocentré qui se plaint volontiers des difficultés de son sacerdoce mais n’oublie pas pour autant d’en tirer les bénéfices sonnants et trébuchants, cette image est des plus récentes.

Des siècles durant — chez les grecs antiques, par exemple et par définition même —, l’art n’était pas plus qu’un artisanat, un labeur méthodique et destiné au bon plaisir de ceux qui avaient les moyens de le financer, les puissants et les riches. Art et artisanat sont de même étymologie, et, au départ, de même nature.

Même si, chemin faisant, on s’amuse à noter la trace parfois laissée de tel ou tel créateur, et ce dès les temps les plus reculés — le sculpteur Irtysenn sur une stèle égyptienne de 2.000 ans avant l’ère chrétienne, ou un certain Eschmounillec, auteur du monument dédié au dieu Bès, en -600 —, il faut néanmoins attendre le XVIème siècle et la révolution de l’Humanisme pour que l’artiste se mette à signer, fréquemment et fièrement, de son nom. La Renaissance se préoccupait de l’Homme, il était logique qu’elle se préoccupât aussi de l’artiste.

Mais l’ancien régime, de manière générale, ne s’interdit pas de rendre hommage aux créateurs. L’académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648 à l’initiative de Louis XIV, atteste l’existence des artistes autrement qu’au sein des corporations médiévales quelque peu anonymes. Même des femmes bénéficient de cette reconnaissance officielle : madame Vigée Lebrun, naturellement, l’une des toutes premières, mais aussi Elizabeth-Sophie Chéron, dont chacun s’accorde à reconnaître le talent en des temps où l’on interdisait aux femmes l’étude du modèle vivant. Et également Marie-Guillemine Benoist, alors que, non contente d’être une femme créatrice, elle accentua le scandale lié à son nom en se choisissant pour modèle… une femme noire ! On s’aperçoit ainsi que les femmes n’attendirent pas l’émergence des mouvements féministes pour commencer à se libérer.

Tout naturellement, en suivant cette progression des mœurs et des habitudes qui les mettaient de plus en plus en valeur, les artistes aboutirent à l’autoportrait. L’exposition nous en propose un certain nombre, et non des moindres, et une autre excellente idée a consisté à accompagner chacun de ces autoportraits d’un commentaire extrait d’une œuvre littéraire ou de critique artistique : François Cheng commente Dürer, Ramuz explique Le Tintoret, Philippe Sollers analyse Poussin, et Marguerite Yourcenar s’extasie de Rembrandt.

Ainsi les mots subliment l’image, le verbe dit la couleur. Et pas n’importe quels mots, pas n’importe quels verbes : c’est Pline l’ancien qui nous parle de Praxitèle !

Une exposition dont on peut estimer qu’elle tombe à point nommé : une excellente occasion de retourner au Louvre et aussi de remettre à jour nos connaissances dans le domaine de l’art. Pendant longtemps, au final, il était tout à fait évident de séparer l’artiste de l’homme, puisqu’on séparait forcément l’œuvre — reconnue, admirée, magnifiée — de celui, parfois anonyme, qui l’avait commise.

Figure d’artiste, jusqu’au 5 juillet 2021 au Musée du Louvre.

Si vous désirez aller plus loin :

Figure d’artiste, le catalogue de l’exposition, aux éditions du Seuil. 168 pages. 29,00€.

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