« Forestières et autres arpents » : Gérard Titus-Carmel au musée Paul Valéry de Sète

« Je suis ce qui m’entoure » a coutume de répéter Gérard Titus-Carmel. Pas étonnant, par conséquent, que le titre de sa dernière exposition rende hommage à la nature. Mais cet hommage n’est ni évident, ni immédiatement perceptible ni académique.

Pas question de vouloir imiter la matière, la densité, les couleurs et les coquetteries de la nature comme le firent, des siècles durant, les paysagistes appliqués. La forêt, ça se mérite, semble nous suggérer Gérard Titus-Carmel.

Qu’on n’aille pas d’emblée chercher des verts, des bruns, des ocres : c’est à travers le souvenir nostalgique des azulejos portugais que l’artiste représente sa forêt. Comme si d’un art à l’autre, d’une tonalité colorée à l’autre, l’évocation de la nature nous était réinventée. La tradition lusitanienne et le bleu profond offrant l’idée d’une nature autre, recréée, revécue.

Qu’on n’aille pas non plus chercher une « ressemblance », dans les termes habituels du réalisme studieux. L’artiste, lui, lance sa brosse sur des feuilles de papier marouflé : l’épaisseur généreuse de la matière colorée sur la fragilité quasi-japonisante du support. Ensuite, il colle, l’une après l’autre chacune de ses feuilles colorées sur la toile, si bien qu’à travers la feuille nouvelle apparaît l’empreinte de la feuille précédente, de la couleur précédente, et que, de feuille en feuille, de couleur en couleur, de traits en traits s’érigeait progressivement un sentiment d’arbre.

Feuille après feuille, fabriquer un arbre : une forêt, ça se mérite !

Mais il ne s’agit pas pour autant de « faire » un arbre ; il s’agit « d’être » un arbre : je suis ce qui m’entoure…

Et le rapport entre le sujet et l’artiste est toujours de l’ordre de l’intime. C’est l’unique façon de devenir universel.

De toile en toile, Gérard Titus-Carmel pose ses traces : il crée de toutes pièces un paysage en parsemant la toile des ses mains enduites de peinture, mains intercalées, mains insérées l’une dans l’autre, mains opposées. Et l’ensemble, il l’intitule Brisées : c’est le terme communément utilisé pour désigner la trace laissée par la bête sauvage et que « lit » le chasseur. Une forêt, ça se mérite : suivez le guide, ou la bête…

Chaque moment, chaque technique, chaque tentative est l’occasion d’une série : six toiles, ou douze toiles à chaque fois, pour épuiser un sujet, une tentative, une façon d’être.

C’est plus tard seulement, comme si, à un moment donné, l’arbre s’imposait de lui-même, que l’artiste s’enfonce dans la forêt et, sur un petit carnet, croque sur le vif des silhouettes d’acacias, de cyprès, ou autres oliviers tel Plan de coupe en 2021-2022. Et, à partir de ces notes ramenées des bois, l’artiste va élaborer des variations de forme ou de couleur. Après que Gérard Titus-Carmel eût bâti ses arbres, voici qu’à leur tour, les arbres s’en viennent bâtir le dessin.

Ainsi les 129 peintures et dessins rassemblés à l’occasion de cette exposition, datés de 1995 à 2022, composent-ils un univers tout à la fois très autobiographique et, en même temps, totalement « altergraphique ».

On notera que le musée Paul Valéry consacre également une exposition à Jean-Luc Parant, récemment décédé et qui fut tout à la fois, sculpteur, poète, graveur, artiste conceptuel, écrivain et artiste d’installation. Très tôt, et toute sa carrière durant, Jean-Luc Parant s’est emparé du motif des boules et du regard au point de dire de lui-même qu’il était « fabricant de boules et de textes sur les yeux ».

Partant de l’idée que nous sommes, chacun d’entre nous, aveugles à nous-mêmes puisque nous voyons l’univers mais que nous ne nous voyons pas nous-mêmes, ou très mal, il considérait les boules de cire qu’il modelait comme autant d’autoportraits potentiels. La vue, estimait-il, est un sens beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, et il se plaisait à tenter de dessiner les yeux ouverts ou les yeux fermés. Puis de dessiner, tantôt de la main droite, tantôt de la main gauche. Ce qui, au final, lui offrait quatre façons différentes de créer : main droite yeux ouverts, main droite yeux fermés, etc.

C’est ce genre d’expérimentation tout à la fois profondément humaine et poétique, qui présidait au travail de Jean-Luc Parant, lequel ne rêvait que de redonner à chaque être humain son regard spécifique : un beau projet humaniste pour un artiste émouvant.

Forestières et autres arpents, jusqu’au 12 février 2023 au musée Paul Valéry de Sète.

Partagez vos impressions

Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.