« Fragments », d’après Hannah Arendt, à l’Espace Rachi

Côté jardin, une vaste table autour de laquelle se côtoient enfants, adultes et pantins grandeur nature. Tous les âges de la vie, et des signes de mort. Côté cour, un piano droit emmitouflé de gris et une table à dessin.

Ici et là, plusieurs sources sonores qui diffusent des bribes de musiques ou de sons non identifiés. Comme si l’univers tout entier, de toute origine et de toute instance, était convoqué sur scène pour assister à la prestation de cette très grande dame de la philosophie moderne.

Et puis, posées de part et d’autre, comme les vastes piliers de la culture, deux grandes piles de livres entassés. C’est d’ailleurs masquée elle-même par une pile de livres que va apparaître Hannah Arendt, interprétée magistralement par la vive et gracieuse Bérangère Warlusel, également auteure de l’adaptation pour la scène.

Et cette pile de livres, elle va la poser, le déconstruire, la défaire. Comme si elle naissait, Hannah Arendt, de toute la culture qui l’avait précédée, qui l’a constituée, mais qu’en même temps elle s’était ingéniée à s’en défaire, à s’en départir, à tout voir et revoir d’un autre œil.

Et elle va ensuite, fragments après fragments, nous donner un aperçu de cette pensée toujours délicate, raffinée et subtile, nourrie par la culture classique, les extraits qui nous sont jouées de Beethoven ou de Chopin, les lectures de passages de Shakespeare…

Il est question, tour à tour, du lien entre la pensée et l’action, des difficultés de la fraternité humaine, de l’imposture constitutive de toute idéologie, du rapport de l’homme avec son milieu ambiant, de la banalité du mal (bien entendu !), du  peu d’empathie ressenti pour le Peuple Juif, et puis de l’importance fondamentale et fondatrice de la notion de fragments.

La mise en scène est inventive tout en demeurant discrète, et elle s’autorise des fantaisies technologiques telle que l’utilisation de la vidéo en direct, tout en conservant un aspect classique.

Il s’agissait, on doit bien le dire, d’un pari audacieux de la part de l’adaptatrice et comédienne Bérangère Warlusel et du metteur en scène Charles Berling que de faire de la pensée d’Hannah Arendt matière à théâtre.

Le pari est partiellement réussi puisque, de fait, on écoute avec attention cette grande voix de la pensée, et qu’on ressort ému de ce spectacle qui a, de plus, le bon goût de faire la part belle aux comédiens enfants et adolescents, comme une sorte d’espoir laissé dans le sillage d’Hannah Arendt.

Partagez vos impressions

Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.