« Golda Maria », de Patrick et Hugo Sobelman : souvenirs d’un siècle et de ses horreurs…

David était encore tout petit lorsqu’il demanda à sa grand-mère pourquoi elle portait un numéro inscrit sur son avant-bras ; ce à quoi la grand-mère répondit que lorsqu’il serait plus grand, elle lui raconterait toute l’histoire.

Ce film est l’histoire, toute l’histoire de Golda Maria, morte en 2010 à l’âge de 102 ans mais qui peut, aujourd’hui encore, raconter son histoire grâce à l’initiative d’un autre de ses petit-fils, Patrick, qui, durant trois journées d’octobre 1994, planta une caméra amateur devant la vieille dame et l’interrogea.

La mémoire de Golda Maria est une prison dont les murs sont en papier. Il suffit de l’interroger pour que sitôt les souvenirs remontent et affluent. Elle a, à ce sujet, une expression merveilleuse et simple : « Mon cerveau s’est ouvert« .

Au début du film, à plusieurs reprises, elle se reprend, hésite : « Je crois« , « Je pense« …, puis, peu à peu, elle gagne en assurance et se met à raconter avec, par moments, d’étonnants commentaires — « ça, c’est très bon ! » — comme si elle était en train de narrer une bonne histoire et de soigner ses effets dramatiques.

Golda Maria a vécu ce qu’aucun être humain ne devrait être amené à vivre. Elle a traversé l’Histoire, la grande, depuis sa Pologne natale jusqu’à la France en passant par l’Allemagne, comme si le sort s’était acharné sur elle.

Mais il est vrai qu’en ces temps obscurs et que nous sommes nombreux à ne pas vouloir revivre, le sort s’acharnait sur beaucoup : juifs, tziganes, homosexuels, communistes, handicapés…

Les parents, et leur sept enfants, fuient les pogroms de Pologne et la famille arrive à Berlin qui, pour Maria, représente pour quelques temps sa vraie patrie. Mais elle aimait aussi la France et, lorsque le nazisme se fait jour, elle gagne Paris. C’est là qu’elle va rencontrer Pierre Eisenberg, l’homme de sa vie, dont elle aura deux enfants.

La situation se dégrade encore, et la famille doit fuir. Avec une sorte de lucidité obstinée, Maria facilite le passage en Suisse de son mari et de sa fille ainée. Hélas pour elle, au moment où elle tentera à son tour de s’échapper, elle sera arrêtée et déportée.

Elle arrive à Birkenau le 6 juin 1944, le jour même du débarquement des alliés en Normandie, par l’avant-dernier convoi de l’enfer. Et c’est là, sur le quai, qu’on lui arrache des bras son enfant, Robert, âgé de quatre ans, qu’elle ne reverra jamais plus.

Comment évoquer l’horreur ? Comment parvenir à surmonter les larmes et la plainte ? Comment faire pour partager avec d’autres l’insurmontable douleur de la perte d’amour, de la perte d’un enfant, de la perte de tout espoir ?

Golda Maria y parvient, face caméra, avec une force d’esprit, un courage et une dignité qui forcent l’admiration.

Le film est sobre et terriblement émouvant : très peu d’images personnelles ou d’images d’archives, mais presque, exclusivement, ce visage de vieille dame marquée par l’âge et les souffrances. Rien si ce n’est les mots, la voix, l’accent, de celle qui s’efforce de retenir ses larmes. « On ne pouvait pas parler » se justifie-t-elle. Elle qui a tout à fait conscience, en parlant à Patrick, de faire son œuvre de Mémoire, de dire ce que le monde doit savoir, de rappeler ce que les révisionnistes et négationnistes essayent de gommer.

« Un jour, quand tu seras grand, je te raconterai« . C’est désormais chose faite grâce à ce témoignage totalement bouleversant.

Golda Maria, de Patrick et Hugo Sobelman, en salle le 9 février.

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