« Hannah Arendt », le biopic historique de la réalisatrice allemande Margarethe von Trotta

Après des études de philosophie et de théologie en Allemagne, au cours desquelles elle fait la connaissance de son mentor et futur amant Martin Heiddeger — rencontre qui aura un rôle décisif tant sur sa vie sentimentale qu’intellectuelle, Hannah Arendt est brièvement emprisonnée par la Gestapo.

Dès sa sortie de prison, sentant s’approcher des événements tragiques, elle fuit l’Allemagne pour Paris. Comme des milliers d’autres Juifs d’Europe de l’Est, elle pense alors pouvoir trouver dans la capitale française un refuge. Mais en 1940, elle est de nouveau arrêtée et internée au camp de Gurs, dans les Pyrénées Atlantiques, d’où elle parvient à s’évader. Dès lors, plus question de rester dans cette Europe qui semble devenir folle. Via le Portugal, elle embarque pour les Etats-Unis, et arrive à New York.

En 1951, elle publie une de ses œuvres majeures, Les origines du totalitarisme, analyse des régimes nazi et stalinien, qui sera suivie quelques années plus tard par la Condition de l’homme moderne, et La crise de la culture. Cet ensemble de trois ouvrages constitue une œuvre fondamentale dans sa carrière.

Traquant partout dans le monde les responsables nazis, le Mossad israélien kidnappe en 1960 en Argentine Adolf Eichmann, considéré comme un des instigateurs de la Solution Finale, afin de le juger en Israël. C’est d’ailleurs sur cet événement que s’ouvre le film : un homme descend d’un bus, fait quelques pas dans la nuit, puis est embarqué de force dans un camion. Bref, mais efficace. Les bases du film sont jetées.

Parmi les six cents journalistes internationaux qui seront dépêchés à Jérusalem pour couvrir le plus retentissant procès du 20ème siècle, Hannah Arendt est envoyée spéciale par le New Yorker. Une philosophe Juive, échappée d’Allemagne, et qui va suivre en Israël le jugement d’un des principaux leaders nazis, c’est pour le New Yorker une véritable aubaine médiatique.

Le procès Eichmann durera huit mois, d’avril à décembre 1961. Condamné à mort par pendaison, Adolf Eichmann sera exécuté en mai 1962. Hannah Arendt publiera cinq articles sur ce procès, qui sont en fait bien plus que de simples comptes-rendus, rassemblés en 1963 sous forme de livre.

Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal fait apparaître l’officier nazi responsable de six millions de morts non plus comme un monstre, mais comme un petit fonctionnaire zélé et en somme affreusement banal, qui n’aurait fait qu’obéir aux ordres.

Bien avant le début du procès, chacun savait qu’à Jérusalem, ce n’était pas l’homme que l’on jugerait, mais l’Histoire toute entière. En basant son analyse sur les actes individuelles d’Eichmann, et en critiquant le comportement « docile » des populations déportées, qui selon elle ne se seraient pas suffisamment révolté, Hannah Arendt crée avec ses articles une véritable tempête médiatique internationale. Critiquée, insultée, menacée, elle ressortira de cet épisode blessée et meurtrie.

Bien que toujours sujet à polémique, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal est cependant considéré comme un de ses ouvrages les plus importants, et constitue encore de nos jours une véritable référence sur la question de la Shoah.

Après Les années de plombRosa Luxenburg ou plus récemment Rosenstrasse, la réalisatrice allemande Margarethe von Trotta traite une nouvelle fois, avec Hannah Arendt, de la douloureuse histoire de l’Allemagne.

Pour porter à l’écran le personnage de la philosophe durant cette période sombre et active de sa vie et de sa carrière, Margarethe von Trotta s’est largement documenté, a lu ses livres, ses correspondances, mais est aussi entrée en contact avec des personnes qui l’avaient connue. Elle ne voulait surtout pas réaliser un biopic classique, comme nombre de réalisateurs seraient tentés de le faire. Aussi était-ce un pari osé. Elle aurait pu faire un film ennuyeux, sombre, voire rébarbatif tant les sujets traitant de la Shoah ont été portés à l’écran. Mais il n’en est rien.

L’histoire est rondement menée et portée par des acteurs convaincants – Barbara Sukowa EST Hannah Arendt !, les plans – dont certains attendus, et les lumières confèrent vitalité et dynamisme aux différentes scènes filmées aux Etats-Unis ou en Israël, l’insertion d’images d’archives originales du procès Eichmann lors des scènes du tribunal est parfaitement réussie et accentue encore la réalité historique, les dialogues, et surtout l’émouvant monologue dans l’amphithéâtre de l’Université, sont captivants.

Le seul regret est que l’on aurait aimé que cela dure encore un peu.

Une réussite !

Hannah Arendt, de Margaret von Trotta. DVD. 113 minutes.

Si vous désirez aller plus loin :

Eichmann à Jérusalem, d’Hannah Arendt, chez Folio Histoire.
Hannah Arendt, la biographie, par Elisabeth Young-Bruehl.
Adolf Eichmann, la biographie, par David Cesarani.

Partagez vos impressions

Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.