« Hyperréalisme, ceci n’est pas un corps », au Musée Maillol

Ils sont nombreux à nous attendre, tapis dans l’ombre du musée Maillol, ces corps qui ne sont pas des corps sans pour autant être décors.

Ils sont faits de silicone, résine, plâtre, aluminium, polyuréthane, fibre de verre, cheveux, pigments, tissu, peinture, parfois même de bronze ou de marbre ; et ils paraissent comme autant d’illustrations de ce sentiment décrit par Freud sous le nom d’ « inquiétante étrangeté » : quelque chose qu’on connaît pour l’avoir déjà vu mais que, pour autant, l’on ne reconnaît pas tout à fait.

Ce travail – ces travaux, car en dépit du titre qui les rassemble, tous ces artistes mènent une œuvre singulière, dans leurs démarches et leurs techniques – nous parle tout à la fois du Monde tel qu’il est, et de notre rapport à la sculpture.

Le Monde, tout d’abord, est figuré avec une incontestable distance critique. Dans Back to Square One, de 2015, Peter Land a moulé son propre visage pour se représenter sous l’apparence d’un SDF vautré sous des cartons afin d’illustrer l’un des aspects les plus sombres de nos sociétés de nantis : la misère, toujours présente sous nos yeux.

Mais cette étrange architecture de carton s’allonge comme un serpent, se déforme et s’achève sur les pieds du personnage, comme si tout ceci n’était qu’un étrange jeu à la fois cruel et risible. Back to square one : retour à la case départ, comme si la vie n’était qu’un dérisoire jeu de Monopoly.

Maurizio Cattelan, lui, fait sortir du mur trois bras qui se dressent en salut nazi, rappelant la menace toujours présente, de partout.

Notre rapport à la sculpture aussi, car les thèmes traités semblent parfois aux antipodes des habitudes artistiques : ainsi Duane Hanson avec Two Workers, qui choisit pour modèles deux travailleurs manuels parfaitement banals et leur donne ainsi la dignité d’objets d’art, ou Tom Kuebler et son personnage de femme de ménage, Ethyl. Carole Feuerman également avec ses sculptures représentant des nageuses qui viennent de sortir de l’eau.

Mais bien davantage encore, les œuvres nous interrogent sur nos conceptions de l’œuvre d’art, des thèmes artistiques et de la beauté. Zharko Bashsky intitule Ordinary Man son personnage sans attrait ni beauté, homme ordinaire mais d’une taille si démesurée qu’elle surprend, et qui s’extrait du sol comme s’il naissait de la terre. Un homme si ordinaire que ça ?

Et Embrase, ce couple sans âge que nous présente Marc Sijan ? Ce couple ni jeune ni vieux, deux humains plutôt peu gâtés par la nature, mais dont l’étreinte amoureuse paraît si sincère et entière qu’il en acquière la beauté au prix de l’émotion : sujet de sculpture ? œuvre d’art que cet amour de tous les jours ?

Qui peut décider de ce qui semble beau ou laid ? Après tout, dans la majorité des cas, les personnages présentés ne sont pas à leur avantage : cette Ménine de Gilles Barbier est excessivement ridicule, et même le Andy Warhol de Kazu Hiro laisse paraître ses poils de barbe et ses cheveux mal coupés. Sans parler de l’Elie de Berlinde de Bruychkere, un corps cadavérique sans tête et qui exhibe son obscénité, ou bien encore de The Comforter, petite fille à la fois sage et hideuse à cause des poils hirsutes qui parsèment ses jambes, et de la poupée monstrueuse qu’elle berce.

Autant de sujets qui peuvent heurter et interroger : le beau côtoie l’effrayant, le sublime fraye avec l’horreur, et nous restons profondément troublés devant ce qui semble spectacle du Monde et reflet de nos cauchemars.

Fabien Merelle nous le démontre : la notion même de réalité a peu de sens, et représenter le réel, ce n’est jamais qu’exprimer l’imaginaire. Ainsi dans son Tronçonné, la frontière entre l’être humain et l’arbre disparaît, comme si tout était toujours question de proportion et d’architecture, celle de l’âme autant que celle de l’univers.

Ainsi, nous voguons avec bonheur, dans un univers composite et toujours troublant, jusqu’à atteindre des frontières de la perception. Cet étonnant personnage cloué sur un fauteuil roulant dont le visage seul est mobile et qui semble répondre au téléphone par l’intermédiaire des écouteurs plantés dans ses oreilles. Serait-il vivant ?

Hyperréalisme, ceci n’est pas un corps, une exposition tout public et qui ravira aussi bien les amateurs de sculpture que les néophytes.

Hyperréalisme, ceci n’est pas un corps, jusqu’au 5 mars 2023 au Musée Maillol.

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