« Israeli Jazz » : Raphaël Perez à l’espace Rachi

Raphaël Perez n’a que sept ans à peine lorsque les dégâts collatéraux de la Guerre des Six Jours obligent sa famille juive à quitter le pays natal, la Tunisie.

De cette enfance tronquée, il ne conservera que quelques centaines de photographies de soleil, de palmiers et de bains de mer, et un violon offert par l’un des innombrables amis musiciens du père mais dont lui, Raphaël, ne saura jamais jouer.

Autant dire qu’il était, de par son histoire personnelle, plus que destiné à s’engouffrer dans la double postulation artistique de la photographie et de la musique.

Ce n’est qu’à partir de 2018 qu’il va s’attacher à la nouvelle scène israélienne du jazz. Cela fait pourtant déjà bien longtemps que des musiciens juifs s’efforcent de créer un courant musical particulier, tout à la fois profondément marqué par les racines mythiques du bebop mais également influencé par les musiques traditionnelles juives, surtout le klezmer, et sans jamais se montrer insensible aux nouveautés radicales de la musique contemporaine.

Quelque chose d’un croisement entre le respect et l’émergence, tout à la fois le fond même de l’océan et l’impétuosité de la vague qui arrive.

Les jazzmen israéliens mettent leurs pas dans ceux de leurs brillants ainés, ils ne renient ni Coltrane ni Mingus ni Miles, mais ils apportent un surplus de vitalité, d’énergie et d’enthousiasme ; ce surplus leur viendrait, dit-on souvent, de la « Hutzpah », cette volonté, propre à la jeunesse israélienne de dépasser les limites, de chercher du neuf en permanence, quitte à aller loin, très loin, plus loin encore.

Tels ils apparaissent devant l’objectif de Raphaël Perez, dans la quarantaine de photos qui composent l’exposition, tous saisis dans leur instant de grâce, à la recherche de la note bleue, de l’harmonie parfaite, au moment suprême où le corps traduit l’arrachement à la matière pour se diriger vers l’élégance du son.

Tous sont à la fois concentrés et, en même temps, illuminés, magnifiés par le jeu des couleurs franches.

C’est le cas de Gadi Stern au studio de l’Ermitage (Paris 2022) auréolé d’un bleu mauve qui tranche avec son visage recueilli ; c’est encore le cas d’Adan Ben Ezra (Pediluve Chatenay Malabry 2019) à la fois figé et vivant, comme vibrant, de lumière.

Tous sont joyeux : qu’on en juge par le grand sourire épanoui de Shai Maestro (Les Etoiles, Paris 2020) ou celui de Onri Mor (café de la danse, Paris 2018) ; qu’on en juge par le regard espiègle et enfantin de Nital Hershkouits (Duc des Lombards, Paris 2019).

Ils sont, pour la plupart, photographiés de très près, visage et corps dans le mouvement de création sauf, par exemple, Avishaï Cohen sur sa basse et Rani Kaspi à la batterie, pris de plus loin et comme embarqués dans une sorte de transe hypnotique et se défiant l’un l’autre (la Cigale Paris 2022). Sauf aussi la grande masse sombre du piano de Yaron Herman sous la voute aérienne et gracieuse de Saint Germain des prés (2019).

Autant de photos, autant de musiciens qui se montrent joyeux mais graves à la fois, profonds  et chaleureux, concentrés mais complices. Et cette nostalgie facétieuse n’est pas sans évoquer Erick Satie disant du jazz qu’il nous « apportait sa douleur », mais que pour autant il nous épargnait de la partager.

Le jazz, ou l’art de dire les larmes tout en donnant l’envie de danser.

Israeli Jazz, jusqu’au 24 mai à l’Espace Rachi.

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