« L’homme qui marche » : l’histoire d’une icône de l’art moderne à l’Institut Giacometti

Tout le monde connaît L’ Homme qui marche. La renommée de cette icône internationale a suffi à rendre célèbre le nom de son créateur : Alberto Giacometti. On en connaît moins l’histoire, en revanche, et c’est ce à quoi s’est attelé l’espace Giacometti à l’occasion de cette très belle exposition.

Toute sa vie durant, de l’avant-guerre jusqu’à sa mort, Giacometti fut poursuivi, au moins en filigrane, par le motif de L’homme qui marche. Et tout d’abord, aux origines, l’homme était une femme. La première étape de la longue quête de l’artiste est une silhouette féminine aux allures africaines, et plus spécifiquement égyptiennes, qui date de 1932.

On appréciera la cocasserie et l’on en tirera éventuellement les conclusions ethnologiques ou sociologiques que l’on veut : le premier homme était une femme, et africaine !

Depuis toujours, Giacometti se passionne pour la statuaire antique et il explore fréquemment les salles égyptiennes du Louvre. Sa Femme qui marche esquisse juste un pas, de profil, encore timide, et ce n’est pas encore la vraie marche, la marche triomphante, ample, volontaire, qui sera celle de l’œuvre future.

Dans l’effervescence de l’immédiat après-guerre, on demande aux sculpteurs européens – et donc à Giacometti – des œuvres commémoratives. C’est ainsi qu’on propose à l’artiste, successivement, de créer une statue à la mémoire de Jean Macé, puis de Gabriel Péri. Les projets présentés par Giacometti ne seront pas retenus. Ils ne sont pas suffisamment commémoratifs, ne reprennent pas les visages des chers disparus, ne donnent pas assez dans le monumental.

Cet aspect pontifiant, lourd, officiel, n’intéresse pas Giacometti. Mais qu’importe, ces commandes lui donnent l’occasion de revenir à son thème favori : l’homme qui marche, l’homme qui avance, l’homme qui progresse en direction du futur, de lui-même, fort de sa propre volonté, de sa propre énergie…

La femme ne se transforme pas en homme, mais plutôt en Homme, avec la majuscule de l’intemporel, de l’universel, de l’intensité. Son personnage ne gagne pas en masculinité mais en humanité. Peu à peu, au fur et à mesure des tentatives, des ébauches, se dessine une épure humaine. Toute trace précise d’un modèle humain disparaît, ou se simplifie. L’être n’a plus de cheveux, plus de mains, plus de carrure, plus aucune trace d’un repère sexué, il est. Simplement, de façon absolue et concrète. Sans être une personne en particulier, il est la Personne.

Curieusement, alors que Giacometti, à une période de son évolution, était revenu au travail sur le modèle, faisant poser souvent sa femme Annette ou son frère Diego, il parvient à cette universalité du modèle qui n’est personne en étant tout le monde.

Alberto Giacometti travaillant au plâtre de L’homme qui marche, 1959. Photo Ernst Scheidegger.
© Archives de la Fondation Giacometti, Paris.

Et puis la marche : qu’est-ce qui résume mieux l’humanité, après tout, que la station debout et le déplacement ? L’Homme de Giacometti marche vraiment. Il a le buste penché vers l’avant, son pas est ferme mais exprime tout le paradoxe de l’avancée physique. Chaque déplacement est une succession de déséquilibres successifs dont triomphent le corps, le cerveau, l’oreille interne, l’énergie, la volonté, la pratique… On dirait que devant nous, à la façon du petit enfant, l’Homme de Giacometti expérimente la marche. Il en donne une sorte de résumé tangible et vrai.

Et c’est sans doute pourquoi, ainsi que l’exprimait Jean-Paul Sartre, Giacometti travaille avec le plâtre et le bronze mais aussi, et surtout, avec l’espace. L’espace est sa matière vive et L’homme qui marche est précisément pris, rigoureusement, dans l’espace de son déplacement.

On appréciera de voir réunie dans l’exposition de l’espace Giacometti la majorité des versions successives de l’Homme qui marche, dont le fameux bronze de Zurich. L’artiste, parfois, peu soucieux des principes académiques et pressé de parvenir au résultat, confiait aux fondeurs non pas un plâtre de tirage mais le plâtre d’origine, ce qui explique que certaines œuvres ne nous soient parvenues qu’en un très petit nombre d’exemplaires, voire se soient carrément perdues.

Giacometti ne visait pas la pérennité des étapes de travail, il cherchait au-delà, plus loin. C’est dire que, fondamentalement, Giacometti était un homme qui marche !

L’homme qui marche, actuellement et jusqu’au 29 novembre à l’Institut Giacometti.

Si vous désirez aller plus loin :

Alberto Giacometti : A la recherche des oeuvres disparues (1920-1935), catalogue de l’exposition, aux éditions Fage. 191 pages. 28,00€.
Pourquoi je suis sculpteur, d’Alberto Giacometti, aux éditions Hermann. 64 pages. 8,00€.
Alberto Giacometti, de Catherine Grenier, aux éditions Flammarion. 384 pages. 25,00€.

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