« La libraire de Dachau » : l’Histoire moderne pour héritage…

Grace Laurent, une toute jeune architecte américaine, se remet péniblement de la mort de sa mère quand elle apprend qu’une parente inconnue lui a légué un bien immobilier situé dans un lieu éloigné et de sinistre mémoire : Dachau.

Grace se rend en Allemagne pour apprendre que la mystérieuse donatrice n’est autre que sa grand-mère maternelle, Mathilda Ellman, et que le bien en question est une librairie d’un genre particulier : elle contient des « ouvrages qui ont échappé à la censure [nazie], des œuvres signées par des écrivains juifs ». Autrement dit, tous les livres qui ont pu échapper aux flammes des autodafés décidés par Hitler. Une librairie faite pour nier la puissance de l’une des pires barbaries qu’ait pu connaitre l’Humanité.

Le gérant des lieux, Archie, va remettre à Grace le manuscrit écrit par sa grand-mère que nous allons découvrir en même temps que la jeune femme.

Ainsi le roman progresse-t-il alternativement à travers le récit mené par la grand-mère et à travers les découvertes et réflexions de la petite-fille ; par un récit daté des années de la Seconde guerre, entre 40 et 45 ; par les révélations qui sont faites en 2018.

Le « Je » de Mathilda, la grand-mère, alterne – mais s’imbrique aussi, peu à peu – avec le « Je » de Grace, la petite-fille. Le flux narratif de l’une s’entremêlant au flux narratif de l’autre, comme s’il fallait recoudre le réel, raccommoder une histoire éparpillée, réparer la vie.

Mathilda était une jeune allemande sans histoire particulière, qui a été précisément ravagée par l’irruption de l’Histoire autour d’elle : celle du régime nazi.

Elle ne voulait que poursuivre sa romance sentimentale avec son voisin Hans, mais ce dernier est juif, et il sera déporté dans le camp de Dachau. Avant qu’il soit arrêté, Hans avait été caché par Mathilda dans une alcôve de sa chambre, et c’est là, dans cette niche secrète, qu’avait été conçu leur enfant, la petite Runa. Mais le bébé, lui aussi, va disparaître, enlevé par le père de Mathilda et expédiée aux Etats-Unis. La future mère de Grace ne reverra jamais sa procréatrice. Pourtant cette dernière, sa vie durant, va la chercher. Comme elle cherchera Hans.

Hans est écrivain, ou du moins féru d’écriture. Au cours d’une sorte de scène quasiment initiatique, alors que le père de Mathilda a  ignominieusement trahi la confiance de celle-ci en dénonçant le jeune juif, Hans incite Mathilda à écrire à son tour. Mathilda qui admire le talent particulier de son amoureux, pour l’entretien duquel elle a  fourni du papier et un crayon, va poursuivre le travail d’écriture, confiant au papier les événements qu’elle traverse et le désarroi qu’elle en ressent.

C’est ce travail, précisément, que découvre avec nous la petite fille de Mathilda.

« Je vais écrire tout ce que je ressens, tous mes espoirs les plus fous, tous mes rêves. Puisque c’est tout ce qui me reste, je vais m’y atteler. »

Le vrai père n’a pas tenu sa parole, le fiancé, lui, donne la parole à Mathilda. Comme s’il fallait, à situation exceptionnelle, d’autres types de liens familiaux, eux aussi exceptionnels.

Grace lit Mathilda et, dans une sorte de « mise en abîme » du récit,  nous lisons Grace qui lit Mathilda, comme si la transmission de l’écriture et de la lecture amenaient obligatoirement à l’éveil de la conscience. Du verbe, de la parole, et de la littérature, comme capables d’exorciser le mal, de vaincre la barbarie, de surmonter le néant.

Grace Laurent, la jeune architecte est elle-même en butte, dans le cadre professionnel, à l’hostilité machiste de son entourage. Elle ne peut que compatir aux angoisses de sa grand-mère plongée dans l’univers nazi. Elle est bien la digne héritière de sa grand-mère maternelle, et, c’est en quelque sorte, comme si elle opérait une réconciliation entre l’Allemagne meurtrie des années de guerre et le présent.

Comme si, à travers ses yeux et sa lecture, on comblait le fossé de l’oubli, celui symbolisé par sa mère morte d’un cancer.

1940 parle enfin directement à 2018.

« La terre n’est pas plate » : c’est par cette surprenante affirmation que s’ouvre le roman de Shari J. Ryan. La terre n’est pas plate, non certes, elle est nettement trop complexe pour cela ; et aussi elle n’est pas plate parce qu’au final elle tourne sur elle-même, à la manière  des événements historiques  qui, souvent hélas, font  retour sur eux-mêmes.

La libraire de Dachau, de Shari J. Ryan, aux éditions City. 384 pages. 20.90€.

Si vous désirez aller plus loin :

C’était ça, Dachau (nouvelle édition), de Stanislas Zamecnick et Sylvie Graffard, aux éditions du Cherche Midi. 462 pages. 10.74€.
Justice à Dachau, de Joshua M. Greene, aux éditions Calmann-Lévy. 448 pages. 23,35€.
La baraque des prêtres, Dachau 1938-1945, de Guillaume Zeller, aux éditions Tallandier. 320 pages. 20,90€.

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