La Monnaie de Paris accueille la première exposition d’envergure consacrée à Kiki Smith…

Kiki Smith est le chaînon manquant entre William Blake et Camille Claudel. Du premier elle a les extravagances métaphysiques et obscènes, de la seconde elle a l’énergie féminine décuplée.

Tout le long d’une œuvre complexe, menée dès le plus jeune âge, l’artiste américaine née en 1954 explore les thèmes et les matériaux.

Elle tente ce qu’elle nomme elle-même des « expériences », sans rien s’interdire et en s’initiant aux techniques pour mieux les dépasser. Son univers est composite et dialectique, entre la femme et le monde, l’univers connu et celui des songes, la vie et la mort, le tragique et le sublime. Les sujets ont évolué mais l’ensemble de l’œuvre est profondément marqué par l’obsession du corps, et surtout du corps féminin, comme reflet, réceptacle, émergence, fusion du monde et du cosmos tout entier. Comme s’il n’y avait pas de frontière entre l’individu et l’univers.

Une pensée que le bouddhisme ne renierait pas, même si elle, Kiki Smith, se réfère plutôt au catholicisme. Ce qui ne lui interdit nullement d’explorer des domaines plus iconoclastes, tel son hommage à la femme sorcière, ou sa Madeleine qui surgit d’un ventre de loup.

Le corps et le monde, sous toutes les formes, et par tous les moyens : sculptures imposantes en bronze, tapisseries à la Lurçat mêlées de collages, sculptures de petite taille à partir de divers matériaux, dessins, papier mâché, gravures, cire, etc…

Et exploration thématique forte qui impressionne : les femmes aux moutons, plus grandes que nature, parsèment la première salle dans le décor-écrin du salon XVIIIème, et plus loin, collée au mur, la femme de papier mâché aux apparences de Christ, évanouie sur elle-même. Une femme écorchée nous attend et nous surprend dans un cabinet, vêtu de ses muscles rougeoyants qui contrastent avec le côté « cosy » du boudoir bourgeois.

Car l’œuvre est tout à la fois macabre et enthousiaste, figurative et symbolique, traversée par la mort mais transcendée par un appel à la vie.

Et Kiki Smith s’en explique, dans un excellent film diffusé en fin d’exposition, se montrant tout à la fois précise dans sa démarche, et terriblement modeste : quatre-vingt dix-neuf pour cent de son activité, estime-t-elle, se déroulent dans l’atelier à corriger ses erreurs à coups de lime à métaux. Elle écorne au passage les mythes occidentaux sur le don, la créativité, l’inspiration, le talent, et sait parfaitement donner à son œuvre une valeur autobiographie tout en étant toujours profondément universelle.

Kiki Smith, jusqu’au 9 février 2020 à la Monnaie de Paris.

Si vous désirez aller plus loin :

Kiki Smith, le catalogue de l’exposition, aux éditions Silvana Editoriale. 192 pages. 32,00€.

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