« Le discours » singulier et pluriel de Simon Astier…

Le mot prend toujours un « s » : comme si, même lorsqu’il n’y en a qu’un seul, de discours, il était toujours plus ou moins pluriel. C’est un peu le sujet de cette pièce.

Au départ roman écrit par Fabrice Caro, puis adapté au cinéma sous la direction de Laurent Tirard, et aujourd’hui seul en scène, interprété par Simon Astier dirigé par Catherine Schaub, Le discours c’est d’abord celui que le personnage, Adrien, jeune et fringant quadragénaire, doit prononcer à l’occasion du mariage de sa sœur, Sophie.

C’est son beau-frère, Ludo, qui lui a demandé cette faveur : « quelque chose de simple, mais je suis sûr que ce sera merveilleux. » Rien que ça. On a tous connu ce genre de « littérature » obligée à l’occasion des banquets bien arrosés : un peu de cirage de pompes aux jeunes mariés et à la famille, un coup de baguette magique pour la princesse made in BHV, une touche de souvenirs d’enfance et une goutte de « première rencontre si romantique »…, beaucoup de violons, deux trois roucoulades, et beaucoup — mais alors beaucoup — de rires.

Mais le discours, c’est aussi celui que se tient Adrien à lui-même, monologue intérieur, stream of consciousness comme on dit au sujet de Joyce : le discours de l’amoureux récemment éconduit par sa belle, Sonia, qui lui a demandé rien moins qu’une « pause ». Le discours — justement — de Sonia, assourdissant  parce qu’il est muet ; ou alors juste composé de cinq mots elliptiques : « Et toi, comment vas-tu ?« 

Et c’est aussi le discours des autres. Le discours de la famille, celui des copains, celui du monde aux alentours. Un discours fait de jus d’orange qui guérit de tous les malheurs, de ce quelque chose de blanc ignoble placé dans certains chocolats de la boîte, des encyclopédies offertes systématiquement à chaque anniversaire, des poivrons qu’Adrien n’a jamais aimé, de même qu’il a cessé de mettre du sucre dans son café…

Discours incohérent fait de bribes absurdes, mais bribes auxquelles nous tenons pourtant parce qu’elles constituent notre atmosphère, notre logique, notre évidence.

Bien sûr c’est drôle. On ne peut qu’en rire parce que les situations amènent ce rire, mais aussi parce que tout cela nous ramène forcément à du vécu. Ces petits malheurs accumulés, au final, nous les connaissons bien. On a tous plus ou moins prononcé ce même discours pitoyable, à moitié ivre et à moitié écœuré de nous-mêmes. Mais insidieusement, derrière le rire se glisse le petit museau pointu de la mélancolie. Le clown toujours cherche à nous faire rire pour permettre d’oublier que lui aussi, souvent, il pleure.

Simon Astier campe avec énormément de bonhomie ce grand gaillard sympathique mais maladroit, encore par moment englué dans l’enfant malingre qu’il fut jadis, celui que l’on se refilait, de groupe en groupe, parce qu’il jouait mal au foot, parce qu’il n’amusait pas, parce qu’il ne plaisait pas. Le gosse déprimé est devenu un adulte potable parce qu’à force de pousser, on finit par s’admettre. Même si les blessures d’amour continuent à faire souffrir.

L’humour ici est nostalgique et parfois un peu amer. Comment supporter ces familles où l’on ne parle jamais de rien, si ce n’est de « ceux qui ont un cancer » et de « ceux qui ont fait construire ». Comme si, à part ces deux événements, il ne se passait jamais rien dans la vie ?

C’est un beau tour de force de la pièce que de ramener tous ces discours pluriels dans la bouche d’un seul acteur, comme si, justement, le singulier sécrétait la pluralité.

Le discours dit bien, par moments, ce fond commun d’ennui et de perte d’amour qui nous rend si précieux lorsqu’on l’éprouve le goût du bonheur.

Le discours, actuellement au théâtre Michel.

Si vous désirez aller plus loin :

Le discours, de Fabrice Caro, aux éditions Folio. 224 pages. 7,60€.

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