« Le labyrinthe du silence », de Giulio Ricciarelli : un combat pour la vérité

Francfort, à la fin des années 50. Johann, jeune procureur débutant, fait la connaissance d’un journaliste plein de fougue qui lui ouvre les portes de l’élite artistique de la ville.

Au contact de Simon Kirsch, rescapé d’Auschwitz, il découvre avec horreur les véritables fonctions de cet endroit, qu’il pensait jusqu’alors réservé au simple internement de prisonniers. Il apprend ensuite que la plupart des employés nazis du camp ont été réintégrés dans l’administration allemande après la fin de la guerre, et décide d’intervenir. Avec le soutien du procureur général Fritz Bauer, Johann entame une croisade contre l’ignorance et le mensonge qui gangrènent le pays.

Les films sur l’Holocauste sont légion depuis que le monde a pris conscience de l’ampleur terrible de cette période sombre et honteuse de notre histoire. De près ou de loin, d’un point de vue ou d’un autre, romancé ou réaliste, le thème a été tellement disséqué que l’on a tendance à oublier qu’il fut un jour un sujet tabou, dissimulé, couvert d’un voile pudique dans l’espérance qu’il tombe dans l’oubli. C’est cet angle passionnant qu’a choisi Giulio Ricciarelli pour son premier long métrage de fiction.

Dès les premières minutes, le spectateur a le sentiment de se trouver face à un film de science-fiction : aucun des personnages ne semble connaître Auschwitz, ou alors de très loin, comme ces employés du tribunal qui avouent en toute candeur n’en avoir jamais entendu parler. L’intrigue a lieu quinze ans après la libération du camp, les procès de Nuremberg se sont déroulés des années auparavant, et l’Allemagne, scindée en deux, ne sait rien. Les américains évitent soigneusement le sujet pour concentrer l’attention sur les communistes, leurs nouveaux ennemis, et les allemands mettent des œillères pour oublier la honte et tourner la page.

Les scénaristes, à la fois soucieux d’efficacité narrative, de véracité historique et de complexité psychologique, vont accompagner notre héros dans sa quête de justice et de vérité.

Le film est avant tout un thriller judiciaire, avec labyrinthes d’archives monstrueuses et piles de dossiers écornés filmés comme autant d’obstacles. Mais au-delà du besoin de punir les bourreaux, qui coulent des jours tranquilles et sont montrés comme des gens terriblement ordinaires (un boulanger courtois, un instituteur…), Johann veut pousser un pays tout entier à assumer son crime, et redonner leur dignité à des victimes contraintes encore et toujours de vivre dans le silence et la peur.

L’une des scènes les plus émouvantes (et éprouvantes) du film montre avec beaucoup de sobriété les séances de témoignages, que Johann et sa secrétaire recueillent auprès des anciennes victimes du camp. Tout ce qui nous est aujourd’hui familier leur éclate au visage pour la première fois. La terreur à la descente des trains. Les chiens enragés et les soldats hargneux. Les conditions de détention. La cruauté gratuite. La faim. Et ce médecin monstrueux, Josef Mengele. La honte de ne rien avoir su et la conscience soudaine d’appartenir à un peuple capable de tels actes s’entrechoquent face à ces gens détruits à qui on offre, enfin, une chance de dire l’horreur. Tout cela est filmé sans emphase inutile, avec peu de mots et parfois de simples plans couverts par la musique, jamais envahissante, prouvant les choix artistiques très sûrs du réalisateur.

Souvent montrés au cinéma comme des hordes de SS sanguinaires, les allemands ne sont ici plus des nazis mais des gens comme les autres. Des citoyens aux prises avec leur culpabilité, leurs démons : comment accepter les crimes du passés, comment pardonner ou blâmer sans savoir ce que nous-même aurions fait ?

Très habile dans sa peinture d’un héros à multiples facettes, judicieux double fictif de plusieurs procureurs ayant réellement existé, Ricciarelli n’offre jamais de réponse facile. L’obsession et la traque acharnée de Josef Mengele ne sont-elles pas un moyen pour Johann de fermer les yeux sur sa propre histoire ? Combien de temps peut-il continuer sa croisade sans se pencher sur son propre cas ? Sur sa propre famille ? Va-t-il pouvoir éviter longtemps l’ultime question qu’a dû se poser toute une génération d’allemands : « suis-je moi-même le fils, l’ami, le collègue d’un monstre ? ».

En utilisant une structure narrative classique, le réalisateur offre donc au spectateur un objet cinématographique carré et lisse en surface, mais qui s’avère bouillonnant de rage et d’interrogations dès qu’on y regarde de plus près, à l’image de l’excellent Alexander Fehling, inoubliable Johann. Instructif et rythmé comme un polar, mais toujours très exigeant et documenté, Le Labyrinthe du Silence ne cède jamais au chantage émotionnel ni à la leçon de morale, gardant toujours suffisamment de distance pour nous laisser nous-même répondre à une foule de questions qui nous hantent longtemps après la sortie de la salle.

Si vous désirez aller plus loin :

Le labyrinthe du silence, de Giulio Ricciarelli. DVD. 115 minutes.

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