« Le monte-plats », la première pièce d’Harold Pinter actuellement sur les planches…

Ça commence par les hoquets frémissants et rythmiques du Fable of Faubus, l’un des thèmes majeurs de Charlie Mingus, qui va imprimer à la pièce son swing haletant.

Ben et Gus sont deux tueurs à gages en mission, et en pleine attente. Donc, avant de tuer leur client, ils tuent le temps. Et ces deux paumés pitoyables révèlent, dans ce temps hors du temps, leurs failles et leur manque d’ambition : on dirait un vieux couple aigri par les années de cohabitation, ils s’en veulent et s’engueulent mais restent attachés l’un à l’autre à force, depuis des années, de ronger le même os.

Ils sont Laurel et Hardy partis faire un tour chez Beckett ; deux clowns métaphysiques, drôles de n’avoir plus ni désirs ni patience. Leur univers, celui dans lequel les emprisonne la pièce, est clos : pas de fenêtre, pas d’ouverture, pas d’espoir. Les murs sont lépreux et le maigre mobilier des plus précaires. On sait juste qu’ils sont dans un lieu situé en dessous, en-dessous du sol, en-dessous du niveau de la mer, en-dessous de tout.

Ce qui les rattache un peu, vaguement, à l’extérieur, c’est le journal que Ben déchiffre inlassablement, le même journal depuis des années, et qui ne contient, au final, que des faits divers sans intérêt. Et puis aussi la porte qui, dans la mise en scène simple mais efficace d’Alice Safran, est le quatrième mur, le « côté spectateurs » que Ben et Gus vont explorer du regard et du pistolet pointé. Et puis, bien entendu, le « monte-plat » du titre, tel une sorte de D.ieu de métal et de bruit qui leur intime des ordres.

Eux, qui n’ont rien et ne sont rien, se voient sommés, par le monte-plat, l’ordre de fournir des plats cuisinés élaborés et internationaux. A peine s’ils savent lire. Autant demander à un sourd de vous définir la musique de Debussy.

Ils n’ont pour seule alternative que d’offrir au monstre bruyant venu d’en haut leurs maigres provisions, mal-bouffe dérisoire de mangeurs de néant, chips, biscuits rances, sucres industriels…

Peu à peu, ces deux tueurs d’opérettes vont se dévoiler tels qu’ils sont : deux tristes épouvantails qui craignent leurs ombres et ne comprennent rien à ce qui les entoure.

Le monte-plat, créée à Londres le 20 janvier 1960, était la première pièce d’Harold Pinter, mais force est de reconnaître que, même si elle lorgnait peut-être un peu trop du côté d’un théâtre dit « de l’absurde », elle contenait néanmoins tout Pinter en germe : Ben et Gus sont des épaves, symboles ambulants d’une humanité sinistre qui ne sait qu’obéir à des ordres stupides sans jamais rien saisir de ce qui passe ailleurs, plus loin, plus haut. En nos temps troublés de pandémie internationale, Pinter est bien placé pour nous parler de nous-mêmes…

Le monte-plats, actuellement au théâtre Clavel.

Si vous désirez aller plus loin :

No man’s land / Le monte-plats / Une petite douleur / Paysage / Dix sketches, d’Harold Pinter, aux éditions Gallimard. 216 pages. 21,00€.
Trahisons / Hot house / Un pour la route et autres pièces, d’Harold Pinter, aux éditions Gallimard. 280 pages. 21,50€.
La Lune se couche / Ashes to ashes / Langue de la montagne / Une soirée entre amis et autres textes, d’Harold Pinter, aux éditions Gallimard. 144 pages. 15,00€.

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