« Le temps de la colère » : l’Histoire vue par Maud Tabachnik…

Si une métaphore pouvait, à elle seule, résumer le nouvel opus de Maud Tabachnik, ce pourrait être celle du feu d’artifice.

Faisant suite aux Faisceaux de la colère, ce roman — qui peut tout à fait se lire indépendamment du précédent — explore les multiples facettes historiques, humaines, sociologiques et symboliques de la terrible année 1941 en France et dans le monde.

Après les faisceaux, quoi de mieux qu’un feu d’artifice ?

Feu d’artifices à plusieurs égards. D’abord, par la multiplicité des genres abordés : le polar, le thriller, l’action, l’intrigue, le suspense, la romance, le roman de mœurs, d’espionnage et l’analyse psychologique ; feu d’artifice ensuite, par la volonté d’explorer les destins, par moments croisés, d’une galerie de protagonistes, historiques ou bien qui  auraient pu l’être.

Ainsi, Judith Livi, la narratrice, juive italienne qui est parvenue à gagner l’Angleterre pour se former à la Résistance, et qui revient en France pour tenter de faire échapper ses parents à la menace nazie. Puis, sa dame de cœur, Sofia Agnelli, qui n’écoute que son cœur pour venir retrouver Judith malgré les dangers. Et aussi, Jean Langlois, peintre raté, médiocre gigolo, parfait hypocrite qui, en tant que connaisseur d’art, va devenir complice des nazis dérobant les œuvres d’art aux riches collectionneurs juifs de la capitale française. Et puis François et Bastien, prisonniers qui veulent s’évader avant d’être expédiés en Allemagne. D’autres encore…

Tous constituent ainsi une galerie de personnages vibrants, vivants, évidents, mais jamais caricaturaux. Ils ne sont, pour la plupart, ni glorieux ni méprisables, mais juste des humains pris dans la tourmente et qui tentent d’y survivre.

« Il y a en ce moment en Italie une population coupée comme un quatre-quarts. Un quart de fascistes, un quart d’opposants, un quart d’indifférents et un dernier quart de roublards prêts à profiter des circonstances. La même proportion qu’on retrouve dans tous les pays d’Europe occupée. »

Pour autant, il ne s’agit jamais d’un livre d’Histoire laborieusement maquillé en romance rose bonbon pour soulager les efforts du lecteur dilettante, mais d’un « vrai roman » dont l’intrigue nous plonge en permanence dans les méandres de l’Histoire : la petite histoire au sein de la grande.

Maud Tabachnik a choisi de ne pas épargner le lecteur et de ne pas l’infantiliser. Chez elle ne figure nul préambule didactique ou explicatif. Nous sommes en permanence au sein d’une narration, et les infos sont données par les personnages eux-mêmes, ou bien présentées au détour d’un événement, de façon vraisemblable et logique. C’est ainsi que sont évoqués, rappelés, expliqués, le décret du 23 mai qui redéfinit le statut des juifs, émanation directe du gouvernement de Vichy et destinée à satisfaire l’occupant ; la rafle du billet vert, en mai et juin de la même année ; les premiers récits qui parviennent de Pologne grâce à Witold Pilecki, à propos d’un lieu appelé Auschwitz, mais aussi, plus près des héros de cette histoire, ce qu’on dit au sujet d’un camp français, le Struthof ; ainsi que le massacre de Baby Yar.

Et puis, moins connu, l’article d’Erskine Caldwell, écrit durant le discours de Staline le 4 juillet, et dans lequel le journaliste pressent, avec une longueur d’avance sur tout le monde, le danger que représente Staline pour la liberté et la démocratie.

Maud Tabachnik, issue du polar dont elle est depuis longtemps une auteure phare, en a conservé ici les ingrédients et les techniques, le sens du rythme, la volonté de captiver tout en étant rigoureuse. Son roman est en permanence bourré d’action, de désir, d’amour et de suspense ; sans omettre, de surcroit, la dimension d’engagement moral et politique pour la cause des femmes.

« Vous formez une équipe solide à laquelle, je ne te cacherai pas, j’aimerais plus tard me joindre, sans que tu me serines que le combat est trop dur pour une femme. Relis ton histoire et tu verras que nombre d’entre elles ont pris part aux lutte avec une égale, et parfois plus grande bravoure que les hommes. »

Un roman historique écrit par Maud Tabachnik, c’est à la fois la maîtrise narrative méticuleuse de Pierre Lemaître et l’étincelante impertinence de Virginie Despentes.

Le temps de la colère, de Maud Tabachnik, aux éditions City. 256 pages. 20,90€.

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