« Les sorcières de Salem » : le chef-d’oeuvre d’Arthur Miller au théâtre de la Ville

L’univers est voilé de lin, d’ombres et de lueurs, et s’entrouvre à demi pour laisser paraître cinq très jeunes filles des plus dévêtues. Le diable sait comme elles sont belles, ces cinq-là qui se déhanchent sous la lune. Mais ce jeu d’enfant innocent, pure pulsion sans autre but que d’oublier un instant les échos du désir, prend des proportions criminelles dans un monde puritain.

Elles ont été vues par l’un des adultes de la ville, et il faut alors mentir, mentir pour s’en sortir, et, dans le genre, le mieux est encore, pour se défendre, d’accuser, de se trouver des boucs émissaires parmi ceux qui ne sauront se défendre. Cette danse naïve, autant prétendre qu’elle était sabbat de sorcières mené, en réalité, par certains adultes qui sont, par ailleurs et pas par hasard, ceux dont on aimerait bien se débarrasser. Il est si facile d’accuser : à défaut de reconnaître les siens, D.ieu saura bien faire la part des choses.

A partir de cette situation initiale, le drame va se dérouler de façon inexorable devant nous, et il sera tout à la fois glacé et sublimé : par les jeux des lumières, rases, tranchantes, mordantes, qui traversent la scène de l’espace Cardin comme autant de poignards affutés, par les déplacements des comédiens, sans cesse en mouvement, qu’il s’agisse d’une simple saccade des gestes ou d’une véritable chorégraphie, des serpents des bras qui dansent ou des corps qui s’évanouissent et épousent le sol, par une bande-son subtile faite de nappes d’orgue, de cris de corbeaux ou d’une voix de soprane…

C’est un spectacle total, fascinant et envoûtant auquel nous convie Emmanuel Demarcy-Mota.

Tout de cette mise en scène est d’abord et surtout destiné à mettre en valeur l’admirable texte d’Arthur Miller, véritable réquisitoire contre l’hystérie collective qui s’empare des foules avides d’une morale rigoriste, et qui sont soudainement prêtes à mordre, pendre ou détruire quiconque oserait seulement lever le petit doigt pour s’inscrire en faux. Les sorcières de Salem, c’est la dénonciation la plus crue, la plus forte, la plus dense du fanatisme irrationnel : saurait-on être davantage d’actualité ?

L’univers est voilé, de lin, d’ombres et de lueurs, et ce clair-obscur est, hélas, celui de la pensée. Ce crépuscule est, malheureusement, celui de la raison. En 1953, Arthur Miller revisitait l’Histoire de son pays (les procès pour sorcellerie dont il s’est inspiré remontaient à 1692) pour exprimer son écœurement devant les dérives de son époque, et, de nos jours, Emmanuel Demarcy-Mota revisite Arthur Miller pour  parler de ce que nous vivons aujourd’hui : autant dire qu’il est au plus juste de la fonction du théâtre…

Les sorcières de Salem, actuellement au théâtre de la Ville.

Si vous désirez aller plus loin :

Les sorcières de Salem, d’Arthur Miller, aux éditions Robert Laffont. 256 pages. 8,00€.

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