« Ma vie en aparté » : face à face élève-professeure sur les planches du Studio Hébertot

Aparté : expression d’origine italienne et désignant un procédé théâtral grâce auquel un personnage parle à voix haute en s’adressant à lui-même mais sans que les autres personnages ne l’entendent.

L’aparté est ainsi une sorte d’astuce codifiée, pratique rituelle de la comédie, qui permet d’exprimer le monologue intérieur du personnage.

En apparence, elles ne s’expriment pas en aparté, les deux comédiennes présentes sur la scène du Studio Hébertot : la toute jeune et gracile actrice blonde qui s’essaye à l’un des rôles les plus écrasants du répertoire dramatique, celui de Phèdre ; et la professeure, Edwige, femme aux cheveux rouges, plus âgée mais toujours belle, qui la guide, la dirige, l’interrompt et grommelle de plaisir d’entendre dire ce texte.

Les deux femmes se parlent, se répondent, s’apostrophent dans une sorte de jeu de miroir permanent qui les fait s’interroger sur le théâtre, cet art de l’éphémère par lequel on pleure à peu près de tout et l’on rit souvent de peu de choses.

A partir de ce point de départ un peu commun, l’univers de la répétition, ce moment normalement caché au public pendant lequel on cherche, on tâtonne, on travaille, on hésite, on redoute, et qui doit, à tout prix, aboutir à la magie du spectacle achevé ; à partir donc de ce point de départ, la pièce de Gil Galliot interroge l’idée même du théâtre, le principe même du jeu, ce que signifie le fait de camper un personnage et comment on peut sortir indemne, ou à peu près, de certains grands textes du répertoire.

On réalise, chemin faisant, à travers les hésitations et questionnements de la jeune comédienne, à travers le trac toujours présent de la professeur aguerrie, que le théâtre ne peut être une suite de rôle qu’on endosse comme on changerait de chemise.

Les grands textes, ceux qui traversent les siècles, Shakespeare, Molière, Tchekhov ou Racine, possèdent une puissance sacrée et questionnent les douleurs fondamentales et les peurs essentielles de l’Humanité : la mort, l’abandon, l’interdit, le désir, la passion ou le crime.

Il faut bien qu’il y ait, au final, une explication à l’énigme initiale de la pièce : pourquoi donc Edwige, l’enseignante qui est en train de faire travailler sa jeune élève, n’a-t-elle jamais accepté, toute sa carrière durant, de jouer le rôle de Phèdre ?

Les Grecs, dans l’antiquité, transfiguraient les interrogations fondamentales en figures divines. La tragédie classique, elle, les retranscrivait dans des personnages emblématiques. C’est ce que l’homme contemporain ne parvient guère à exprimer que dans le secret bien gardé des cabinets de psychanalyse. C’est peut-être un peu à une sorte de séance d’analyse que nous assistons lorsque, par la magie du théâtre, un simple rideau opaque en fond de scène permet de nous plonger dans le passé des personnages, de leur rendre leurs vingt ans, leurs dix ans, leur enfance…

Et puis la pièce, chemin faisant, insiste — un peu à la façon dont le faisait autrefois Ingmar Berman dans certains de ses grands films lumineux de clairvoyance — sur le dévouement quasi sacerdotal de l’actrice qui ne semble vivre sa vie que par parenthèse entre deux spectacles. Une vie en aparté, comme si le réel n’était qu’un pis-aller au milieu des fastes raciniens. Comme si la vie n’était qu’une mauvaise metteuse en scène, incapable de dompter nos terreurs sous le fouet méthodique de l’alexandrin.

Bérangère Dautun et Clara Symchowicz donnent le ton juste à ces deux comédiennes qui se livrent un duel verbal parfois tendre parfois cruel, comme si l’une et l’autre se battaient, tant qu’à faire, avec l’ombre d’elles-mêmes.

Ma vie en aparté, actuellement au Studio Hébertot.

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