« Mon fils » : une nuit avec le dernier des Szejnok…

Lorsqu’il reçoit l’appel téléphonique d’un notaire lui annonçant le décès de son père, Pierre Lefrançois se retrouve confronté à un pan méconnu de son histoire familiale.

C’est avec une stupeur non dissimulée qu’il apprend que le défunt, qu’il connaissait sous le nom de Jacques Duflot, se nommait en réalité Srul Szejnok.

Certes, père et fils n’entretenaient pas les meilleures relations du monde – ils ne s’étaient pas vus depuis quarante ans -, mais tout de même… De plus, ce n’est pas en veillant le corps que les choses vont s’arranger. Trop tard pour ça !

A moins que…

Dans le petit appartement poussiéreux de Jacques/Srul, Pierre se retrouve donc contraint de passer la nuit avec cet homme dont il ignore tout. Contre toute attente, ces quelques heures passées ensemble seront mémorables pour chacun d’eux.

Revenu à la vie le temps d’une nuit, flottant comme entre deux mondes, Srul dévoile à son fils l’histoire de sa vie, celle d’un gamin ayant fui la Pologne et dont la famille, frère et parents, ont péri dans les camps de concentration nazis.

L’enfance passée sans présence paternelle à leurs côtés semble être un point que les deux hommes ont en commun.

Apatride par choix, Srul se confie et, quatre décennies plus tard, livre à son fils l’histoire sombre de son héritage familial…

« Chaque génération reçoit l’héritage culturel de ses prédécesseurs, mais aussi ses traumas, ses non-dits, ses fantômes. Petit-fils d’un survivant de la Shoah ayant perdu toute sa famille dans les camps, jusqu’à être le dernier à porter son nom de famille, j’ai reçu cet étrange héritage. »

Erwan Szejnok.

C’est donc à des références personnelles et à l’histoire de sa propre famille qu’a fait appel l’auteur et metteur en scène Erwan Szejnok, qui campe également sur scène le rôle du père. 

Mon fils renvoie bien entendu à la transmission et au devoir de Mémoire, mais au-delà ce spectacle met en lumière la difficulté de vivre et de se reconstruire après la Shoah, dans un climat de déni ou d’ignorance dont de nombreuses populations s’accommodaient. 

« Les derniers survivants de la Shoah s’en vont peu à peu. Que reste-t-il de leur mémoire ? Comment continuer à la transmettre en réparant les morts ainsi que les vivants… ? Les personnages de cette histoire représentent différents membres de ma famille existants ou ayant existé […] J’ai voulu dans ce texte aborder les difficultés et la culpabilité que peut éprouver un homme ayant survécu à la barbarie Nazie. Comment peut-on vivre après ? Peut-on guérir ? Se reconstruire ? Fonder une famille ? »

Erwan Szejnok

Que ce soit au son de mélodies yiddish jouées à la clarinette par Erwan Szejnok ou à travers les glaçantes projections en fond de scène, Mon fils résonnera de manière particulière auprès d’un public ayant déjà été confronté à une telle situation. Ce qui n’est pas rare, nous le savons.

Un joli et émouvant dialogue, qui est aussi le premier et ambitieux projet d’écriture et de mise en scène d’Erwan Szejnok, que l’on a eu l’occasion d’applaudir dans d’autres pièces telles que Noces de sang, Gloire aux Justes ou encore Yiddish song pour n’en citer que trois. Quant à la réplique, elle lui est donnée par Jean-Philippe Bêche, un autre habitué des planches puisqu’il a déjà joué dans une trentaine de pièces allant des répertoires classiques aux plus modernes dont Les 39 marches, Molière de la Meilleure pièce comique 2010, ou Le gros diamant du prince Ludwig, Molière de la Meilleur comédie 2018.

Mon fils, actuellement au théâtre de la Contrescarpe.

Si vous désirez aller plus loin :

Enfants de survivants. La transmission du traumatisme chez les enfants des juifs, de Nathalie Zajde, aux éditions Odile Jacob. 218 pages. 9,50€.
Le traumatisme en héritage, d’Helen Epstein, aux éditions Folio. 496 pages. 11,60€.
Être juif en Pologne. Mille ans d’histoire, du Moyen Âge à 1939, de Daniel Tollet, aux éditions Albin Michel. 336 pages. 12,20€.
Vivre avec nos morts, de Delphine Horvilleur, aux éditions Grasset. 234 pages. 19,50€.
Juifs en Pologne. Quand la Pologne a cessé d’être une terre d’accueil, d’Alexandra Subrémon, aux éditions Le bord de l’eau. 209 pages. 20,00€.
Smotshè, biographie d’une rue juive de Varsovie, de Benny Mer, aux éditions L’antilope. 334 pages. 23,50€.
Les enfants de papier, de Didier Epelbaum, aux éditions Grasset. 384 pages. 24,90€.
Guérir de la Shoah, de Nathalie Zajde, aux éditions Odile Jacob. 302 pages. 25,50€.

Et pour la jeunesse :

Deuxième génération. Ce que je n’ai pas dit à mon père, de Michel Kichka, aux éditions Dargaud. 112 pages. 17,95€.

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