« Monnaies et merveilles » : la face cachée de l’argent au musée de la Monnaie de Paris

Si vous avez déjà rêvé de vous retrouver immergés dans une nouvelle écrite par José-Luis Borges, c’est-à-dire au sein d’un univers de savoir encyclopédique méticuleux jusqu’au vertige, totalement universel et qui modifie votre perception du monde et de la réalité, alors courez pour découvrir cette exposition, faite pour vous.

Attendez-vous à pénétrer — selon les mots de Bérénice Geoffroy-Schneider, la Commissaire de l’exposition — dans une sorte de « cabinet de curiosités ». Attendez-vous au plus inattendu des « inventaires à la Prévert ».

Si vous avez tendance à considérer la monnaie comme un objet trivial, composant essentiel, certes, mais vulgaire, de notre quotidienneté ; si vous pensez que l’argent n’est qu’une nécessité fâcheuse instituée par une société mercantile et bassement matérialiste, alors vous allez être étonnés.

Passé le seuil du musée de la Monnaie de Paris, vous allez découvrir comme la monnaie est susceptible de devenir matière à rêve, énigme inattendue, invraisemblable accumulation de matières, de couleurs, de sons, d’ailleurs…

Commençons par le matériau. La monnaie serait-il elle uniquement fabriquée à partir de l’or ou de l’argent ? Pas seulement. Longtemps, elle a été de fer ou de cuivre. Mais aussi, mais encore, la monnaie a été velours, briques de thé, cauris, plumes d’autruches, bracelets, textiles, pectoral en or, perles de verre, coquillages, plumes de paradisier, ivoire de cachalot, fibres végétales, nacre, sel, cotonnades… Et puis encore le cocon de chenille — Brin de monnaie mis, archipel Bismarck de Nouvelle Irlande — ou les segments de pattes de scarabée du Collier des iles Saint Matthias ; ou bien encore les cent cinquante-quatre canines d’au moins trente-huit chiens du Plastron, de la baie de l’Astrolabe en Nouvelle Guinée…

La monnaie serait-elle uniquement faite de pièces et de billets ? Pas du tout. Elle est, par essence même, protéiforme.

Elle peut être en forme de bouquet de serpents, d’ancre marine, de bouclier, de lance, d’outil agricole ou d’instrument de musique. Et de toutes les tailles, y compris les plus importantes, les plus spectaculaires.

La monnaie ne sert-elle qu’aux échanges commerciaux ? Pas davantage. Les usages sont multiples et la monnaie sert de dot, d’acquittement des tributs ou des dettes, de célébration des alliances, d’offrande aux dieux. Elle est tout à la fois objet trivial et sacré. Ainsi cette jupe kanak de nouvelle Calédonie qui, dépliée, entoure de ses sept mètres de tresse frangée et de fibres végétales le corps d’une femme mais qui, repliée sur elle-même, devient objet de cérémonie ou d’échange.

Et puis les frontières sont très floues entre la monnaie et la parure, sous toutes ses formes : vêtement, bijou, chapeau, sac ou accessoire. De tous temps et sous toutes les latitudes, la parure a été à la fois étalage de pouvoir, de puissance, et constituait une sorte de banque individuelle aisément transportable, comme un lingot d’or ou un bas de laine sous forme de collier ou de plastron. Chez les Dong par exemple, en Chine, le Torque en argent portée par une jeune fille doit peser une vingtaine de kilos pour que celle-ci puisse espérer trouver un mari. Et le gilet d’apparat porté par le Janissaire, en Macédoine centrale, resplendit de ses seize rangées de cinq drachmes grecques.

Pour autant, le bijou continue à évoquer l’histoire du clan ou de la famille. Ainsi le collier de mariage kali thiru sur lequel les pinces de crabe stylisées rappellent les origines de la fortune familiale, à l’époque où les ancêtres étaient d’humbles pêcheurs. Ou bien l’ornement frontal lemba de l’île Sumlba qui représentent les chevaux, fiertés des anciens.

Les frontières, on le voit, sont floues entre l’art, l’artisanat, l’industrie et le commerce. Dans bien des cas, on peut considérer la monnaie comme une sorte de lien, d’échange, de vecteur de solidarité et de beauté.

Il faut, pour pénétrer les différents strates d’utilisation et de pratiques, convoquer l’archéologie, l’anthropologie, l’économie, la psychanalyse, l’histoire de l’art et la philosophie.

Cette remarquable et surprenante exposition possède également la grande qualité de remettre en question nos certitudes d’occidentaux issues de siècles entiers d’une colonisation si profondément néfaste. L’histoire de la monnaie montre bien que le monde n’a pas toujours été la proie de l’Europe altière avec, d’un côté, la civilisation, et de l’autre, les terrains de jeux exotiques.

Dès l’Antiquité, les échanges commerciaux et culturels étaient nombreux entre l’Afrique et les territoires alentours. Les peuples de l’océan Pacifique, eux aussi, commerçaient et échangeaient grâce à leurs talents de navigateurs et à l’ingéniosité de leurs systèmes économiques. Les traces qu’ils nous ont laissé sont des plus somptueuses, telles ces monnaies talipun composées à leur base d’un coquillage de gastéropode sur lequel, à leur sommet, était fixée une silhouette ou un masque tressés en fibres végétales.

Dans la grande majorité des peuples, c’est la rareté d’un matériau ou d’un objet qui en fait le prix. D’où un très vif intérêt pour l’objet exogène, ainsi sur cet Ornement en provenance de Papouasie : en plein milieu d’une plaque en écaille de tortue figure, incrusté, un bouton de chemise provenant d’un uniforme militaire européen. Aucune trivialité dans cette « rencontre » puisque, bien entendu, le dit bouton provient de loin et, par conséquent, il est précieux. C’est ainsi que les perles de Bohême ou de Venise se retrouvaient en Afrique dès le XVème siècle : objets lointains, et donc précieux.

A l’heure où l’on célèbre les vingt ans de l’Euro mais où l’on s’interroge, en même temps, sur la pérennité ou la disparition de l’argent liquide, cette exposition vient à point nommé nous rappeler l’histoire de ce qui constitue l’échange social.

La monnaie, exactement comme la langue, est un passage obligé pour le voyageur. Il faut apprendre à compter dans la monnaie locale, donc se conformer à des usages nouveaux, à une logique différente. Et puis, bien entendu, le concept même de monnaie nous renvoie tous à notre histoire individuelle, à notre lien avec la possession, l’échange financier et, par voie de conséquence, l’échange affectif.

C’est grâce à la curiosité de quelques chercheurs originaux, tels les co-directeurs du musée des Confluences de Lyon qui sont interviewé à la fin du parcours, que nous bénéficions désormais d’un certain regard et d’un certain recul sur les mécanismes monétaires qui sont bien loin de n’être qu’économiques.

De cette exposition, vous ressortirez enrichis, non pas d’argent mais bel et bien de merveilles.

Monnaies et merveilles, jusqu’au 25 septembre au musée de la Monnaie de Paris.

Si vous désirez aller plus loin :

La Monnaie de Paris, hors-série aux éditions Connaissance des Arts. 44 pages. 9,50€.
La Monnaie de Paris, 1.150 ans d’histoire, de Nicolas d’ Estienne d’Orves et Benjamin Chelly, aux éditions Albin Michel. 160 pages. 65,00€.

Partagez vos impressions

Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.