« Monsieur Proust » : l’illustre auteur par les yeux de sa servante…

Cela pourrait être quelque mantra psalmodié par les amateurs de Proust : « Impossible d’aimer Marcel sans aimer Céleste ».

En 1913, Céleste Albaret, petite paysanne tout juste débarquée de sa province natale, jeune épouse d’un chauffeur de taxi, entre au service d’un écrivain solitaire et asthmatique. Et elle y restera jusqu’en novembre 1922, à la mort de Marcel Proust.

Elle s’appelait Céleste — on ne peut faire davantage prénom d’ange — et, durant dix années, elle, la divine servante, entretint avec le génial malade, une relation des plus improbables, tout à la fois très cérébrale et parfaitement ancrée dans la réalité, platonique et des plus ferventes, amoureuse et amicale.

On les aurait cru faits l’un pour l’autre, la mère et son enfant, la fille et son père, la soignante et son malade, le modèle et l’artiste, la pénitente et son confesseur, très loin d’une vulgaire relation de domestique à employeur. Proust ne lui avait-il pas avoué qu’elle était la seule femme qu’il aurait pu épouser ?

Et voilà Céleste ressuscitée pour nous par le talent d’une comédienne, Céline Samie, et l’art d’un metteur en scène, Ivan Morane.

Elle se tient debout, de dos, le corps noueux sanglé dans une robe noire toute simple, les cheveux tirés en chignon, et progressivement, elle va se retourner, nous faire face, nous raconter, nous avouer, bâtir pour nous l’édifice étrange de cette union : celle de la complicité et de la souffrance, celle de la patience et de l’orage, celle de la douceur et de la douleur.

Durant une heure trente, le visage de Céline Samie va être, en permanence, sculpté par les lumières des projecteurs, son corps va se lancer dans d’invraisemblables pantomimes parfaitement réglées et sa voix va se modifier pour nous faire entendre non seulement la voix de Céleste, mais la voix de tous, et surtout la voix de Marcel Proust. Car il est présent, en creux, tout le temps, sur scène, dans la salle, dans un recoin de rideau, dans une ombre : on le sent, on le voit, on le ressent !

Céline Samie ne nous offre pas qu’une belle performance d’actrice mais un grand moment d’émotion proustienne.

Et puis les extraits choisis par Ivan Morane insistent bien sur ce qui pourrait paraître le paradoxe proustien : si Marcel Proust fut l’un des écrivains les plus subtils et les plus raffinés que ce monde ait vu naître, une petite paysanne inculte parvenait à le comprendre et à ressentir une profonde affinités avec sa sensibilité. C’est que, contrairement à sa réputation, Proust parle avec son cœur, sa vie, sa délicatesse : il faut, pour le comprendre, se dépouiller de toute prétention et retrouver en soi l’enfance, avec son cortège d’enthousiasmes et de craintes.

Monsieur Proust sur la scène du Lucernaire : une grande leçon d’humanité.

Monsieur Proust, actuellement au théâtre du Lucernaire.

Si vous désirez aller plus loin :

Une jeunesse de Marcel Proust, d’Evelyne Bloch-Dano, aux éditions Livre de Poche. 288 pages. 7,70€.
Marcel Proust, hors-série aux éditions Le Figaro. 8,90€.
A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, aux éditions CreateSpace Independent Publishing Platform. 258 pages. 9,40€.
Cahier de L’Herne n°134 : Marcel Proust, ouvrage collectif, aux éditions de L’Herne. 303 pages. 33,00€.
Marcel Proust, du côté de la mère, catalogue d’exposition, aux éditions RMN. 256 pages. 36,00€.
Marcel Proust, un roman parisien, ouvrage collectif, aux éditions Paris Musées. 235 pages. 39,90€.
À la recherche du temps perdu, tomes de I à IV, de Marcel Proust, aux éditions Gallimard. 7.408 pages. 272,00€.

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