« Pitchipoï » : voyage dans les méandres de l’héritage culturel juif…

« Plus tard seulement, je sus qu’il revenait de ce lieu que nous appelions « Pitchipoï », et dont le véritable nom était Auschwitz-Birkenau.« 

Jean-Claude Moscovici, « Voyage à Pitchipoï ».

Pitchipoï c’est donc cela : le monde où l’on va lorsque tout est perdu ; un monde parallèle, au-delà du réel. En yiddish, « Pitchi poï » signifie littéralement « trou perdu », sorte de shtetl paumé au milieu de nulle part. Ce même « trou perdu » utilisé ensuite pour évoquer la destination inconnue vers laquelle seront conduits plus de six millions de juifs : les camps de concentration nazis. 

Et c’est bien une atmosphère teintée de yiddishland qui enveloppe Pitchipoï, du réalisateur Charles Najman. A la fois névrose familiale et récit sur les angoisses de l’héritage juif, Pitchipoï est une fable sombre et corrosive, empreinte d’une « errance diasporique » qui semble aussi inépuisable qu’incurable.

« Dans leur capacité à entrer dans la vie des autres, à vivre sans frontières, sans limites, à entretenir une existence considérée parfois comme floue, trouble, sans attaches, sans racines, il y a chez les Juifs une singularité qui me semble aujourd’hui en voie de disparition et que j’ai voulu exalter dans sa dimension poétique. C’est le sens d’une vieille légende yiddish qui conclut le film.« 

Charles Najman.

Séduisant et en conflit permanent avec lui-même, Julien Schulmann vient de perdre son père, et découvre au cimetière qu’il ne veut pas être inhumé, mais incinéré. Un choc pour la famille, qui apprend par la même occasion qu’il souhaite que ses cendres soient dispersées… en Pologne. Certes, il en est originaire, mais tout de même ! Pour un juif qui a vécu la déportation, il y a de quoi rester pantois.

D’autant plus que Julien, « comique », fait un tollé sur scène à l’occasion de la première de son one-man show, en appelant tous les juifs à quitter Israël pour revenir vivre en Europe. Son spectacle sera retiré de l’affiche dès le lendemain, et il va devoir vivre avec une menace permanente au-dessus de lui, comme une épée de Damoclès prête à le punir de son arrogance et son insulte au Peuple Juif. Un « délire inaugural » inspiré à Charles Najman par Opération Shylock, le roman de Philip Roth.

« L’an prochain à Varsovie » en quelque sorte…

Mais Pitchipoï, c’est aussi un témoignage personnel, une vie dans laquelle Charles Najman a puisé une part de son inspiration :

« À partir de mon roman familial, j’ai inventé l’histoire d’un conflit fraternel, fait de hantises et de possession.« 

Charles Najman.

Un long-métrage qui renvoie de manière plus générale à la folie et à la névrose, des thématiques centrales dans son œuvre. Délirant et naviguant entre deux mondes, traqué, parano, Julien évolue entre rêve et réalité dans des décors sombres et dévastés.

Pour les besoins du film, l’équipe fut d’ailleurs exceptionnellement autorisée à tourner dans les ruines d’Oradour-sur-Glane, village-martyr où furent assassinés en juin 1944 plus de 600 personnes. Un lieu et une histoire aussi chaotiques que le cerveau de notre personnage principal… 

Sorti en salle en 2015 — soit huit ans après l’écriture du scénario —, Pitchipoï était un projet particulier pour Charles Najman. Ce fut malheureusement son dernier film, le réalisateur devait disparaître peu de temps après.

Pitchipoï, de Charles Najman. DVD. 100 minutes (disponible le 15 juin).

Si vous désirez aller plus loin :

Voyage à Pitchipoï, de Jean-Claude Moscovici, aux éditions EDL. 144 pages. 5,80€.

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