« Pour un oui ou pour un non » : Nathalie Sarraute et le poids des mots…

“Qu’as-tu contre moi ?” De cette petite question, d’apparence pourtant anodine, découle le sujet de la pièce Pour un oui ou pour un non : le poids et le pouvoir des mots. Mais aussi et surtout, la façon dont tout un chacun les interprète. 

Dès lors, on imagine vite ce qui peut découler d’une simple question telle « Qu’as-tu contre moi ? » Et de cette question-là peut-être plus encore. À elle seule, elle sonne presque comme un défi, un duel que l’on s’apprête à disputer, une bataille que l’on s’apprête à mener.

Et si encore il n’y avait que les mots qui comptaient, non, ce serait trop simple ! Dans cette minuscule phrase, il faut aussi prendre en considération l’intonation et les temps de pause éventuels, eux aussi lourds de sens… 

Pourtant, chez ces deux frères, l’un d’eux sent bien qu’il y a quelque chose de différent chez l’autre. Impossible de savoir quoi cependant. Du moins… rien que l’on ne puisse dire. Et si tout le problème était là ? Si une telle situation ne découlait pas de ce que l’on dit, mais précisément de ce que l’on ne dit pas ? 

Et puis, ces discussions ardentes sont propices aux vieux souvenirs, aux vieux reproches que l’on ressort comme un lapin d’un chapeau.

La parodie se fait jour, et le public, entrant doucement dans la lumière, est pris à témoin ; comme si au-delà de son rôle de spectateur, il devait à présent être juge.

Pour un oui ou pour un non, le chef-d’œuvre de l’auteure Nathalie Sarraute aujourd’hui joué sur la scène du théâtre Lepic, révèle intelligemment la puissance des mots, parfois plus violents que les actes.

Au point peut-être d’en faire oublier les personnages principaux, ces deux frères qui ne se comprennent pas. Qui ne se comprennent plus. Les mots eux-mêmes deviendraient presque les protagonistes de cette pièce. 

Sur les planches, deux comédiens — Pablo Chevalier et Edouard Dossetto —, s’invectivent donc dans une tragi-comédie perdue — ou gagnée ? — d’avance pour chacun d’eux, et mise en scène par Bruno Dairou.

« […] choisir de mettre ce texte en scène, c’est moins vouloir « exprimer l’inexprimable » que montrer la cruelle complexité des êtres révélée sous l’apparente banalité du langage quotidien. C’est le travail que j’ai souhaité mener avec les comédiens. »

Bruno Dairou, metteur en scène.

Bruno Dairou nous livre, du début à la fin, des clés scénographiques subtiles qui trahissent à la fois la fragilité et la complexité liées à l’incompréhension : le voile transparent en entrée de scène, qui peut renvoyer à ce voile que l’on se met soi-même devant les yeux pour ne pas être confronté à la réalité ; la projection d’une fenêtre ouverte — cette fenêtre par laquelle on aimerait fuir pour s’épargner une situation inconfortable ; les mobiles en fond de scène, dont les formes aussi imprécises que torturées évoquent les méandres l’âme humaine…

Tout ici est parfait. Si l’on devait regretter une chose, ce serait éventuellement la brièveté de la pièce. On serait bien resté un peu plus longtemps avec ces deux-là, à en apprendre un peu plus sur les mots. Et peut-être en apprendre un peu plus sur nous aussi…

Pour un oui ou pour un non, actuellement au théâtre Lepic.

Si vous désirez aller plus loin :

Pour un oui ou pour un non, de Nathalie Sarraute, aux éditions Gallimard. 83 pages. 6,30€.
Théâtre, de Claude Sarraute, aux éditions Gallimard. 176 pages. 22,50€.

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