« Destin d’un Juif de Chine » de Remi Huppert : voyage au coeur de l’Extrême-Orient

Harbin, Mandchourie, début du 20ème siècle. Petite bourgade poussiéreuse et modeste, « ville de boue et de bois » où criminalité côtoie moeurs légères, Harbin abrite une importante communauté chinoise, russe et un quartier Juif dont l’essor n’a rien à envier à celui de mégapoles comme Shanghai ou Tientsin.

destin d'un juif de chine remi huppertYosef Kaspe, entrepreneur avide de réussite dissimulé sous des airs de notables, ouvre l’hôtel Moderne, un palace de trois étages aux allures occidentales qui fait l’admiration – mais aussi la jalousie – de tous. Très vite, l’établissement gagne ses lettres de noblesse et devient le rendez-vous incontournable des diplomates et négociants de passage dans la région, et également un important point de départ vers Eretz Israël.

Après avoir inauguré les soirées théâtrales et les toutes premières projections cinématographiques, Yosef propose a Semyon, son fils aîné, de donner son premier récital de piano sous les breloques et les dorures du grand hall du Moderne, tandis qu’arrivent de l’Ouest les bruits des premières mesures antisémites : arrestations, expulsions, interdiction de représentations au théâtre yiddish, obligation d’officier en russe…

Face au climat incertain, Yosef décide d’envoyer Semyon et son frère Vladimir étudier en France. Une nouvelle occasion de déclencher des jalousies. Jamais sortis de Harbin, les deux jeunes garçons embarquent donc pour un grand voyage vers l’inconnu, avec comme uniques bagages quelques vêtements et des partitions, de l’effervescente Shanghai où le négoce du coton tutoie le trafic d’opium jusqu’à Paris, en passant par le canal de Suez et Port Said.

Inscrits au lycée Janson de Sailly, snobés par les Dreyfus, les Weil et les Cahen d’Anvers comme l’étaient les Juifs russes de Shanghai par les séfarades, Semyon suit des cours de musique avec Lazare Levy et Isidor Philippe, donnant son premier concert à la salle Pleyel, tandis que Vladimir s’oriente vers des études d’architecture, une passion née avec la construction du Moderne à Harbin.

Avec la venue en France de leur mère Malka arrivent également des nouvelles bouleversantes de Mandchourie. A présent sous contrôle japonais, coupées du monde, les populations locales sont violentées, les Juifs persécutés et braquages, enlèvements et demandes de rançons constituent désormais le quotidien des habitants de Harbin. Une insécurité qui n’empêchera pas Yosef d’inviter Semyon a donner un nouveau récital au Moderne afin d’asseoir le prestige de son établissement face à l’occupant.

Malgré les mises en garde de Malka et de Vladimir, opposés à ce voyage, le jeune musicien, en quête de célébrité, accepte. Une décision qui se soldera par son enlèvement a la sortie du Moderne, et son assassinat par une bande de fascistes russes.

Au rythme des nombreux voyages qui mèneront les Kaspe des villages de Mandchourie aux rues de Paris, puis enfin au Mexique où ils trouveront refuge après avoir fui la France à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, Destin d’un Juif de Chine est un hommage poétique à une culture et une communauté aujourd’hui disparues, et une émouvante histoire d’amour fraternel qui entraîne le lecteur dans plusieurs décennies d’histoire, de l’assassinat de l’activiste sioniste Joseph Trempeldor aux prémices de la Seconde guerre mondiale, des camps de torture japonais à l’intégration de 8.000 Juifs chinois en Israël.

Superbe !

Destin d’un juif de Chine, de Rémi Huppert, aux éditions Michel de Maule. 280 pages. 20,00€.

Si vous désirez aller plus loin :

Au palais du Ciel, de Rémi Huppert, aux éditions Michel de Maule. 258 pages. 20,00€.
La partition de l’exil, de Rémi Huppert, aux éditions Michel de Maule. 232 pages. 20,00€.

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