Samuel Heyman de Ricqlès : une histoire de l’alcool de menthe…

L’Abeille de Fontainebleau, daté du 19 octobre 1894, publia cette charmante publicité :

« Nous apprenons avec plaisir que l’alcool de menthe de Ricqlès, si apprécié dans nos contrées, vient  d’obtenir un grand prix à l’Exposition Universelle de Lyon et une Médaille d’Or à l’Exposition Universelle d’Anvers. Ces récompenses attestent l’excellente qualité de ce produit dont la réputation augmente chaque jour. »

Le futur inventeur de la Menthe Ricqlès est né à Amsterdam le 24 novembre 1788. Il fait sa « brit milah » sous le nom de Chajiem ben Samuel Hetman. Après la Révolution française, l’état-civil des Juifs étant incompatible avec leur émancipation, Napoléon Ier impose aux Juifs, sous sa dépense, le port d’un nom de famille.

Samuel Heyman, père de l’intéressé, déclare donc le 5 décembre 1811, à la mairie d’Amsterdam,  choisir pour nom de famille Heyman. Son fils aîné Chaïm est enregistré sous le nom de Hayman Samuel Heyman. Ce dernier se marie le 13 février 1819 avec Mindele Calis. Le couple quitte Amsterdam en 1824 pour s’installer à Lyon comme négociant en soierie.

Lorsque notre commerçant demande sa naturalisation en 1833, le Préfet écrit au Ministre : « [… ] et que quant au nom patronymique ou de famille, il se transmettait par tradition : et que le nom de famille de Mr Heyman, est de Ricqlès. » Or l’origine du nom de cette marque mondialement connue reste tout à fait obscure. Quoiqu’il en soit c’est en 1862 par jugement que les actes de naissance des enfants Heyman sont rectifiés. Le nom Ricqlès est donc adopté officiellement et définitivement.

Heyman de Ricqlès est naturalisé en 1842 après avoir reçu la médaille d’honneur du Roi Louis-Philippe pour sa conduite exemplaire lors des inondations de Lyon en 1840. Ce notable est nommé dès 1838 commissaire-surveillant de la Communauté Juive de Lyon, qui dépend alors du Consistoire de Marseille. Un jeune rabbin vient de prendre son poste à Lyon : Mahir Charleville. Mais les relations entre les deux hommes furent assez tendues sur  le plan religieux.

Ce négociant en soierie est un passionné de botanique. Autant le mûrier l’intéresse pour la confection de soie, autant la menthe lui ouvre des perspectives thérapeutiques. 

Pour satisfaire sa curiosité, il se lance dans une recherche plus sérieuse. En isolant les principes actifs de la menthe, il la distille et obtient une huile jaune d’or, d’une saveur forte et agréable. Cet extrait non consommable en l’état, Heyman a l’idée de lui faire subir d’autres manipulations pour obtenir la quintessence. C’est au cours d’une troisième  manipulation que le rajout d’alcool chauffé à haut degré s’avère être le véhicule idéal pour rendre la menthe assimilable.

L’alcool de menthe est donc né en 1838. Si de Ricqlès ne songe pas à la commercialiser dans l’immédiat, il mesure les vertus de son élixir auprès de ses proches. Pendant les terribles inondations du Rhône en 1840, Ricqlès contribue à soulager les épidémies engendrées par la  catastrophe — diarrhées, choléra… — avec sa découverte : l’alcool de menthe. De ce fait, cet élixir passe vite pour une véritable panacée universelle.

La commercialisation de ce nouveau produit, dont le brevet est déposé le 29 mars 1849, se développe rapidement. La soierie est abandonnée au profit de l’alcool de menthe. Le laboratoire d’origine, devenu trop exigu, est transféré au 9 cours d’Herbouville à Lyon.

Comme toutes les dynasties, la société Ricqlès perdure grâce à ses fils. Heyman et Mindele de Ricqlès ont six enfants : Louis, Jacques, Edouard, Joseph, Vital et Rosalie. Louis, Edouard et Vital poursuivent l’œuvre de leur père. Edouard dépose le 5 octobre 1857 le titre, le flacon et la marque de l’alcool de menthe de Ricqlès au Greffe du Tribunal de Commerce de Lyon. En 1869, les frères fondent une société en commandite qui leur permet l’exploitation commerciale et industrielle de cette découverte.

Après un succès dépassant le cadre régional, les trois frères concluent qu’il est indispensable de créer une succursale dépôt de la firme à Paris. C’est Louis qui en prend la direction. Dès 1898, après la modification des statuts, ils décident de transférer la fabrique dans la banlieue parisienne, à Saint-Ouen.

En 1932, la société  a été  victime d’une escroquerie s’élevant à six millions de francs. Elle perd alors pour la sauvegarde son caractère familial : la Coopération Pharmaceutique Française à Melun prend une participation au capital. Cette « coopération » accepte sous l’Occupation allemande et le régime de Vichy de racheter fictivement les parts de la famille. Cette décision permet l’aryanisation totale mais provisoire de l’affaire. Après la libération, la « coopération » restitue les parts comme elle s’y était engagée.

A la faveur du Plan Marshall, les ateliers sont équipés de machines modernes. En 1954, ils lancent le soda Ricqlès, eau gazeuse aux extraits naturels de menthe. Ils fusionnent successivement avec des firmes spécialisées dans la réglisse et élargissent ainsi la gamme de leurs produits : Ets Car, Réglisse Zan, Réglisse Florent… La raison sociale de cette nouvelle société est Ricqlès-Zan S.A.

La menthe de Ricqlès est tellement popularisée qu’on trouve de la publicité sous toutes les formes et notamment en philatélie. Alors que la « Drôle de guerre » prend fin, le 10 juin 1940, sur le quai de la gare de Lyon, le soldat Fabrice Nathan écrit une carte annonçant à sa mère le repli de son unité à Uzès. Il utilise une carte postale de franchise militaire portant la publicité : « P.S. Mon flacon d’alcool de menthe de Ricqlès est bientôt vide! » 

Rien n’a changé : en 2022, on peut encore emporter dans ses bagages un petit flacon d’alcool de menthe Ricqlès.

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