Sortie en DVD de « Love is strange », le film d’Ira Sachs

Après quarante ans de vie commune, Ben et George se marient enfin, entourés de leurs amis et de leur famille, pour qui ils sont devenus un modèle de longévité.

ira sachs love is strangeMais leur couple va rapidement être mis à l’épreuve lorsque George est renvoyé de son travail, les laissant Ben et lui sans les ressources nécessaires pour rembourser leur prêt immobilier. Contraints de vendre leur appartement, et en attendant d’en trouver un autre plus abordable, les jeunes mariés vont devoir vivre séparément, l’un dormant sur le canapé d’un couple d’amis, et l’autre partageant un lit superposé avec le fils de son neveu, en pleine crise d’adolescence.

Peu de films ont pour personnages centraux des homosexuels d’âge mûr, qui ne soient pas des grandes divas flamboyantes ou au contraire des vieux garçons enfermés dans le placard. Ici, Ben et George forment un couple tout ce qu’il y a de plus normal. Un vieux couple, avec ses manies et ses habitudes, que l’on découvre dès la scène d’ouverture en pleine effervescence avant de se rendre à la mairie. L’un est peintre et semble un peu fantasque, l’autre est plus terre à terre, sans que rien ne soit excessif ou grandiloquent. Ils ne sont plus dans la séduction depuis longtemps, mais l’amour est là, toujours. Tout cela se remarque en quelques plans, grâce à la mise en scène sobre et attentive d’Ira Sachs, qui suit ses personnages avec tendresse et un sens du détail affuté.

On est donc bien loin de La Cage aux Folles ou de son insupportable remake américain The Birdcage. L’enjeu n’est pas ici de décrypter le quotidien d’un couple homosexuel, mais plutôt d’analyser à travers ces deux hommes le comportement de leur entourage dans l’épreuve qui les frappe. Avec une certaine acidité, mais toujours avec bienveillance, Ira Sachs prouve la véracité du proverbe qui dit « qu’on peut aimer ses amis, mais ne pas aimer vivre avec ». En effet, l’admiration de la nièce de Ben pour son oncle va vite laisser place à l’agacement  face au comportement un brin encombrant de ce dernier, qui n’hésite pas à intervenir dans ses problèmes de couple, tandis que George doit subir non sans lassitude les fiestas de ses amis, beaucoup plus jeunes, qui l’empêchent de dormir en dansant autour du canapé.

La drôlerie de ces séquences de cohabitation forcée et de plus en plus inconfortable n’empêche jamais le réalisateur d’entretenir une certaine gravité tout au long du film, qui permet à l’émotion de surgir lorsque les amoureux sont enfin réunis. Un simple baiser, une étreinte, il n’en faut pas plus pour que l’on comprenne que la seule maison de ces deux-là, c’est l’autre. On n’est certes pas dans le cliché de la romance sur papier glacé, mais le romantisme est bel et bien présent dans Love is Strange, dans l’équilibre délicat du couple, dans sa complicité. Ira Sachs atteint une vérité, une pureté dans sa représentation de l’amour et du manque, du temps qui passe et de la peur du changement, qui doit aussi énormément à la belle alchimie circulant entre ses acteurs.

Familiers du grand public pour leurs célèbres rôles de méchants (l’un dans Dexter où il fut l’inoubliable Trinity Killer et l’autre dans Spider Man 2 en Docteur Octopus), John Lithgow et Alfred Molina rappellent ici qu’ils sont avant tout des comédiens d’une inimitable profondeur, capables de trésors de subtilité qu’ils exploitent ici avec avidité, évidemment conscients de la chance qu’ils ont de pouvoir camper de tels personnages, à la fois très ordinaires et hors-normes. Chaque plan qui les réunit est une merveille de tendresse qui vaut bien vingt heures de thérapie de couple, tandis que tous leurs partenaires de jeu ont également l’opportunité de briller dans des rôles secondaires irrésistibles dans leur imperfection. A ce jeu-là, Marisa Tomei, déjà inoubliable face à Mickey Rourke dans The Wrestler ou Sissy Spacek dans In the Bedroom, qui se taille la part du lion en nièce sur la brèche, dépassée par les événements.

Véritable pépite du cinéma indépendant américain, Love is Strange est à (re)découvrir en DVD.

Clément FROBERT pour Cultures-J.com.

Love is Strange, d’Ira Sachs, en DVD.

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