« The affair » : Hagaï Levi, un réalisateur d’Israël à Hollywood

Scénariste et réalisateur israélien acclamé dans son pays et vainqueur de nombreuses récompenses locales, Hagaï Levi a rapidement rejoint la liste prestigieuse des créateurs internationaux convoités par Hollywood.

Mais Levi reste une exception, puisque son principal succès en Israël, BeTipul, n’a pas seulement été récupéré par les américains mais réadapté aussi dans dix autres pays, dont le Portugal, la Hollande et la Hongrie où Levi a lui-même supervisé les adaptations.

Il faut dire que le sujet de la série est aussi génialement simple qu’universel : un psychiatre rencontre dans chaque épisode l’un de ses patients, et le spectateur assiste à la séance, ainsi qu’aux déboires personnels du héros, qui retrouve chaque semaine sa propre thérapeute.

A partir de là, les scripts n’ont plus qu’à être adaptés en fonction du public auquel s’adresse le show, ou plus généralement à une société entière.

Aux Etats Unis, BeTipul devient In Treatment, et l’acteur Gabriel Byrne endosse le costume du psychiatre face à Dianne Wiest, l’une des muses de Woody Allen, qui campe sa confrère et analyste.

Depuis ce succès public et critique, auréolé de Golden Globes et autres Emmy Awards, d’autres séries israéliennes ont connu une transposition pour le public américain, parmi lesquelles Hatufim, rebaptisée Homeland et qui fait les beaux jours de Showtime depuis bientôt cinq ans, quand le remake Hostages quitte l’antenne au bout d’une courte saison.

La créativité des auteurs israéliens, leur capacité à croquer des personnages complexes, voire ambivalents, et à bâtir des univers singuliers, n’étant plus à prouver, la nouvelle étape du processus de « récupération » est, en toute logique, de faire venir les cerveaux directement à Hollywood. Pas seulement pour superviser l’adaptation de leurs succès originaux et éviter des sorties de route, mais pour créer de nouveaux shows directement sur le sol américain.

Et Hagaï Levi a été, à l’automne 2014, le premier à essuyer les plâtres avec le succès de The Affair, à nouveau sur Showtime.

Co-créée avec la productrice et scénariste Sarah Treem, qui n’en est pas non plus à son coup d’essai puisque déjà présente aux manettes de House of Cards ou… In Treatment, The Affair est une série dramatique au concept qui tue, typique des plus grands succès de la télévision israélienne.

Deux couples, l’un très aisé, l’autre plus modeste. Le mari du premier couple et la femme du second ont une liaison, qu’ils racontent chacun de leur point de vue, de plus en plus divergeant, à un commissaire de police. Qui lui-même enquête sur un meurtre. Qui est mort ? En quoi les deux amants sont-ils liés au crime ? Le pilote pose un million de questions et ne peut que donner envie au spectateur de dévorer les dix épisodes de la première saison pour enfin dénouer le mystère.

Comme souvent dans les séries américaines au concept fort, le danger est de rapidement faire le tour du sujet au risque de s’éparpiller ensuite. L’avantage des séries israéliennes, comme également en Angleterre, autre pays énormément adapté aux Etats Unis, est la courte durée des saisons et un intervalle assez long entre elles : Hatufim compte par exemple quinze épisodes répartis sur deux saisons espacées de trois ans. Aux Etats Unis, Homeland compte treize épisodes par saison, à raison d’une saison par an, et la critique ne s’y est pas trompée en détectant dès la seconde année de vrais problèmes de redite, de développement des personnages, de crédibilité, etc… On peut redouter le même syndrome pour The Affair, qui revient très bientôt pour une seconde saison alors que la première, aussi riche soit-elle, donnait l’impression d’avoir déjà fait le tour de ses multiples intrigues à tiroirs.

Malgré ces appréhensions, la saison inaugurale ne peut pour l’instant être jugée que pour ce qu’elle est, un modèle de suspense, de construction et d’audace. On imagine en effet difficilement un auteur local capable, dans une série diffusée en prime time, d’aborder autant de thèmes aussi tabous dans la société américaine. L’adultère n’est que le sommet de l’iceberg, et viennent s’y ajouter au fil de la saison celui de la confrontation des classes, de la réussite à tout prix, et à travers eux la remise en question de l’American Dream, symbole finalement très subjectif et que l’on découvre de plus en plus gangréné au fil des épisodes.

Dernier coup de génie, et qui en dit long sur la réputation du personnage, Levi a réussi à réunir quatre têtes d’affiches prestigieuses prêtes à prendre le risque d’interpréter ce sulfureux carré amoureux : les britanniques Dominic West (The Wire) et Ruth Wilson (Luther) incarnent Alison et Noah, les deux amants bardés de complexes et de désillusions, solidement secondés par leurs conjoints de fiction, Maura Tierney (5 saisons de la sitcom NewsRadio, puis 10 saisons d’Urgences) et Joshua Jackson (Dawson, Fringe), véritables stars de la télévision américaine et qui ont malgré tout accepté de jouer des seconds rôles très juteux.

La présence de ces comédiens permet au scénariste de créer une empathie immédiate avec des personnages dont il va rapidement nous dévoiler les aspects les moins reluisants.

La seconde saison sera diffusée en octobre sur Showtime, après le triomphe de la première aux derniers Golden Globes, plébiscitée par la presse étrangère dans les catégories Meilleure Série et Meilleure Actrice, et en attendant de savoir si les professionnels de la télévision américaine, plus conservateurs, seront aussi généreux aux prochains Emmy Awards.

D’ici là, les dix premiers épisodes sont disponibles sur Canal+ à défaut d’une diffusion à plus grande échelle.

Si vous désirez aller plus loin :

Le nouveau cinéma israélien, d’Ariel Schweitzer, aux éditions Yellow Now. 15,00€.

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