Vert, rouge, noir : « The Sign Painter », les couleurs de la Lettonie sous occupation

Il faisait bon vivre en Lettonie avant les années trente, surtout quand on avait vingt ans. On riait, on dansait, on chantait, avec tout le cœur et l’insouciance qu’on sait y mettre dans les pays slaves.

Et le quatuor amoureux que forment Ansis, Zisele, Naiga et Andreas s’applique à bien vivre leurs petites amourettes et leurs grands chagrins de cœur. Ces quatre-là badinaient avec l’amour, littéralement.

Ansis est peintre en bâtiment et peintre de pancartes mais se rêve artiste. Zisele est la fille du droguiste juif, Bernstein. Naiga est fille du pharmacien, autant dire un notable du village. Et Andreas, d’origine allemande, se sent profondément inspiré par les idées d’un tout jeune théoricien militaire nommé Adolf Hitler.

Pendant cette période, la Lettonie connaît trois périodes correspondant à trois couleurs différentes ; d’abord le vert, couleur favorite du dictateur Karlis Ulmanis, entre 1930 et 1940 ; puis le rouge, celle du communisme, lorsque les Russes occupent le pays entre 1940 et 1941 ; et enfin le noir, lorsque ce sont les Allemands qui envahissent le territoire, de 1941 à 1944.

Pour Ansis, chargé par la municipalité de peindre les pancartes et les panneaux officiels, il ne s’agit que de s’adapter. Les noms de la rue principale évoluent en fonction du bon vouloir des dirigeants et de la météo politique : la rue de la Liberté devient rue Staline, puis rue Hitler. Peu importe au final. Lui, Ansis, se contente de repeindre.

On change de couleur parce qu’on a changé de direction ? Il suffisait d’acheter de la peinture chez le droguiste et de passer une couche nouvelle.

Mais autour de lui, la situation évolue. Avec les Russes se produisent les premières déportations, pour raisons politiques : c’est ainsi que disparaît du village le pharmacien. Avec les Allemands se produisent de nouvelles déportations, et cette fois-ci pour des motifs raciaux : c’est au tour du droguiste, Bernstein, de disparaître. Et il faut tacher de sauver sa fille, Zisele.

Pire encore, le héros malgré lui — ou anti-héros — Ansis se laisse embrigader dans la légion lettone, formée par les nazis. Impossible de rester neutre, de se prétendre apolitique, non concerné, non belligérant, parce que les évènements, fatalement, finissent par impliquer tous les participants.

Et le marivaudage initial se mue en cauchemar kafkaïen. La danse que dansent les personnages n’est plus que macabre, les postures qu’ils adoptent ne sont plus que sinistres. La guerre implique, pour chacun, d’assumer ses lâchetés, ses compromissions, sa collaboration. On ne badine pas avec la mort.

Cet étrange film, d’une inspiration proche d’Emir Kusturica, se présente comme une sorte de conte cruel dont tous les plans, sans exception, font se pencher les êtres, les éléments, les décors, comme si, dans cet univers, tout, absolument tout, était prêt à tomber, s’effondrer, se détruire. Comme si la raison même avait fini par ne plus avoir le droit d’exister. Comme si, en Lettonie, entre 1930 et 1945, le monde n’était plus debout.

The sign painter, de Viesturs Kairiss.

Si vous désirez aller plus loin :

Dictionnaire insolite des Pays Baltes, de Marielle Vitureau, aux éditions Cosmopole. 160 pages. 11,00€.
Diplomate en Lettonie. Carnets de Jean de Beausse, premier secrétaire de l’ambassade de France à Riga (1938-1940), de Matthieu Boisdron, aux éditions Mens Sana. 288 pages. 24,40€.
Estoniens, Lettons, Lituaniens. Histoire et destins, de Suzanne Champonnois et François de Labriolle, aux éditions Armeline. 330 pages. 27,00€.

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