« Turner, peintures et aquarelles. Collections de la Tate », au musée Jacquemart-André

Turner était bien plus qu’un peintre. Et d’abord il y eut deux Turner : le dessinateur précocement doué qui expose dès 1790 ; il a alors quinze ans à peine, et ouvre sa propre galerie d’art en 1804.

Ce Turner-ci est efficace, doué et malin. Il connaît les thématiques porteuses et il maîtrise la technique de l’huile, alors considérée comme la « technique reine ». Et puis il y a un Turner expérimentateur, nettement plus adepte de l’aquarelle, admirateur sincère de Claude Gelée, dit Le Lorrain, au point de leur envier leurs ciels et leurs lumières.

De la même manière, Turner a deux vies : pendant Napoléon et après. On imagine mal de nos jours – mais on risque de devoir s’y faire…- les effets du blocus continental : une société entière repliée sur son insularité à cause de l’ogre corse, et des artistes peintres contraints d’explorer et magnifier les valeurs nationales. Même si Turner proclame – et pense sans doute très sincèrement – qu’aucune lumière n’est plus belle que celle qui surplombe la Tamise, ses voyages en Europe à partir de 1817 seront pour lui une révélation. Et parmi ceux-là, tout particulièrement le voyage à Venise, depuis toujours cité du rêve et de la réalité sublimée, dont il rapporte des aquarelles décisives, telles la Vue sur la lagune au coucher du soleil de 1840, ou bien la Venise : San Giorgio Maggiore au petit matin de 1819.

Le Turner académique est réputé, « bankable » comme on ne disait pas à l’époque, pendant qu’en secret, dans une œuvre réservée alors aux happy few, le magicien des couleurs explore d’autres continents. A sa mort, il léguera à la Tate Gallery 20.000 aquarelles sur lesquelles il a projeté avec une maestria étonnante tous ses désirs oniriques, parmi lesquelles on pourra noter l’éblouissante Épave, peut-être liée au phare de Longships Land’s end, œuvre inachevée de 1834.

C’est en grande partie à cette œuvre d’avant-garde pour son époque que nous convie le musée Jacquemart André dans une exposition, comme d’habitude, très bien conçue, balisée avec soin d’explications précieuses, et suffisamment courte pour plaire même à des amateurs un peu réticents.

Et puis, vers la fin de sa vie, l’alchimiste Turner va réussir à fondre ses deux vies : il transformera la matière vile en or du rêve et de l’absolu. Lui qui cherchait à donner de la consistance à ses aquarelles, il parviendra à donner à ses huiles la légèreté et le vaporeux d’une aquarelle, comme dans Yacht approchant de la côte en 1835, où l’on devine tout juste le bateau dans l’océan des ors, ou dans la Mer orageuse avec dauphins de 1840 où, cette fois, il n’est plus rien de figuratif mais une explosion symphonique de couleurs et de lueurs.

Turner aura quasiment mené un chemin radical vers l’abstraction et il s’avère au final – nonobstant les époques – plus proche d’un Hans Hartung que d’un Renoir.

Turner était bien plus qu’un peintre, il était également un faiseur de rêves…

Turner, peintures et aquarelles. Collections de la Tate, jusqu’au 11 janvier 2021 au musée Jacquemart-André.

Si vous désirez aller plus loin :

Turner, peintures et aquarelles. Collections de la Tate, le hors-série aux éditions Connaissance des Arts. 36 pages. 10,00€.
Turner, watercolours (en anglais), de David Blayney Brown, aux éditions Tate publishing. 128 pages. 34,95€.

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