Une « Lune de miel » sur les pas des communautés polonaises massacrées…

Où passer sa lune de miel ? Si cette question est une porte ouverte à des réponses aussi nombreuses que les pépins de la grenade, elles font souvent rimer soleil avec plages paradisiaques ? Mais convenons tout de même que Zgierz, un village perdu au fin fond de la Pologne, qui plus est à l’occasion des commémoration du massacre de la communauté juive locale durant la Shoah, ça ne vend pas du rêve ! Et pourtant…

Anna et Adam, jeune couple de parisiens fraîchement mariés, bouclent leur valise avant de confier leur fils de quelques mois aux parents d’Anna. Inquiète et stressée quant à cette brève séparation d’avec leur enfant, la jeune fille impose à son père une « to-do list » aux allures d’annuaire téléphonique, quant à ses relations avec sa mère, n’en parlons pas. D’ailleurs, elles non plus ne se parlent pas. Ou si peu…

Invité à une commémoration en mémoire des Juifs assassinés lors de l’Holocauste, le couple se rend à Zgierz, non loin de Lodz. Si Adam connait de nombreuses choses au sujet de son grand-père, en l’honneur de qui il effectue ce voyage, Anna quant à elle, dont la grand-mère est originaire du même village, ignore tout en-dehors de son propre passé.

Bien plus enthousiaste que son mari à l’idée de ces quelques jours sur les traces de leurs ancêtres disparus, Anna se sent « super polonaise » sitôt débarquée à l’aéroport, et fait clairement le voyage pour elle-même plus que pour Adam. Des tonnes d’émotions « remontent » en elle, imprégnée par une Pologne dans laquelle n’a pourtant jamais mis les pieds auparavant.

Mais au fur et à mesure qu’avance leur bref séjour, habitée par une transmission forte du judaïsme très axé sur la Shoah, Anna va être confrontée à de violentes émotions qui vont la dépasser, et créer des tensions dans son couple.

Comme pour toui premier long-métrage, Elise Otzenberger a choisi pour Lune de miel un thème résolument personnel, celui de l’héritage laissé aux descendants de polonais rescapés des camps de concentration. Un choix également biographique puisque ce voyage à Zgierz, d’où est originaire la propre grand-mère de la réalisatrice, elle l’a fait en 2009 avec son époux trois semaines après son mariage, pour les mêmes raisons. D’où le titre du film…

« J’avais besoin de faire ce film, car je suis régulièrement terrifiée à l’idée que l’on n’en parle plus. C’est une névrose personnelle. J’essaie d’être optimiste, mais j’ai naturellement tendance à être l’inverse. C’est pour qu’il faut parler, que la mémoire continue à exister, car les témoins disparaissent. Après, je pense, de cette transition va naître une nouvelle manière d’en parler. Peut-être qu’on ne sera plus que dans le témoignage et qu’il en naîtra quelque chose de très riche, mais différent. Il va falloir inventer ces nouvelles formes, et surtout, rester vigilants ».

Elise Otzengerg

S’il est très drôle, Lune de miel traite d’un sujet grave et fort qui, paradoxalement, a débouché depuis quelques années sur un tourisme de masse et un business que l’on pourrait à juste titre juger indécents. Transformé en parc d’attraction (Elise Otzenberg emploie d’ailleurs le terme de « Disneylandisation »), Kazimierz, qui fut jadis le quartier juif de Cracovie, rend le travail de Mémoire et le recueillement difficiles. Visites en petits trains, restaurants, boutique « souvenir » ou stands sur les étals desquels les étoiles jaunes voisinent avec des croix gammées ou des figurines de Juifs aux nez proéminents, les mains remplies de liasses de billets, la Shoah et l’Histoire font partie intégrante du commerce locale.

Très ancré à droite et limite nostalgique du Troisième Reich, il n’est donc pas surprenant que la réalisatrice ait dû faire face à un certain nombre de difficultés, ponctuées par le refus du gouvernement polonais de subventionner le tournage.

Qu’importe ! Elise Otzenberg nous livre ici un premier film réussi, à la fois drôle et tragique, où la transmission pour cette troisième génération post-Holocauste peut parfois prendre une tournure inattendue. Un message de transmission que fait d’ailleurs passer une rescapée au cours d’une visite scolaire dans un cimetière de la ville, livrant un témoignage émouvant et qui n’a très honnêtement rien d’un traditionnel « jeu d’acteur ».

« Je ne pouvais pas imaginer que ce soit une comédienne qui joue une rescapée de la Shoah. C’est la partie documentaire de mon film dans laquelle la fiction ne peut pas entrer. J’avais besoin d’éléments réels en plus de la fiction. J’ai fait la connaissance d’Evelyne Askolovich, qui était enfant quand elle a été déportée. »

Elise Otzenberger

Incarnant les personnages d’Anna et Adam, l’excellente et hilarante Judith Chemla, également vue dans Rendez-vous à Atlit, et Arthur Igal, viennent tous deux à la fois du théâtre et du cinéma. Drôles et émouvants, ils portent avec une grande crédibilité des rôles compliqués, et pour lesquels ils ont dû énormément se documenter, de la lecture de récits et témoignages jusqu’au visionnage de films sur la Shoah, en passant par l’audition de musiques yiddish…

Lune de miel, en salle le 12 juin 2019.

Si vous désirez aller plus loin :

Le devoir de Mémoire, de Johann Michel, aux éditions PUF. 128 pages. 9,00€.
Être juif en Pologne. Mille ans d’histoire, du Moyen Age à 1939, de Daniel Tollet, aux éditions Albin Michel. 336 pages. 12,20€.
La fin de l’innocence : la Pologne face à son passé juif, de Jean-Yves Potel, aux éditions Autrement. 284 pages. 23,00€.
Le livre noir des Juifs de Pologne, de Jacob Apenszlak, aux éditions Calmann-Lévy. 384 pages. 25,90€.

Et pour la jeunesse :

La Shoah, des origines aux récits des survivants, de Philip Steele, aux éditions Gallimard Jeunesse. 96 pages. 19,95€.
Auschwitz, l’histoire d’un camp d’extermination nazi, de Clive Lawton, aux éditions Gallimard Jeunesse. 48 pages. 14,00€.

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