Bruno Ganz bouleversant dans « Winter Journey », du réalisateur danois Anders Ostergaard

Mais pourquoi son père est-il venu s’enterrer à deux pas du désert, à Tucson Arizona ? Martin Goldsmith l’aime, ce père, mais il voudrait comprendre.

Lui qui, toute son enfance, a subi, alors qu’il est né américain, les quolibets de ses camarades sur son nom aux consonances allemandes, il veut comprendre ses origines, ce qui s’est passé, ce que son père ne lui a pas dit.

Alors, Martin entame un documentaire à partir des interview, entrecoupé d’images du passé, de documents historiques, de vues de l’Allemagne natale et de l’Arizona.

Il est tellement secret, ce père, Gunther, devenu Georges Goldsmith, interprété à la perfection par Bruno Ganz, ex-flutiste classique immigré en 1938 avec son épouse Rose-Marie, altiste de métier.

C’est un voyage que l’on nous conte, un long voyage comparable en tous points à celui que décrit Schubert, piano et voix, dans Le voyage d’hiver. Un voyage fait de douleur et de grandeur humaine, un voyage tout à la fois sombre et solaire.

De la même façon, par une sorte de rythme tout à la fois alangui et maîtrisé, le film mêle habilement le présent et le passé, les couleurs lumineuses et le soleil éblouissant des paysages américains, le noir et blanc d’une acidité crépusculaire des souvenirs de l’Allemagne nazie, le réalisme pointilleux d’un documentaire et la symbolique stylisée à la manière expressionniste d’un film d’évocation. Le tout est baigné par la musique, évidente, divine, aérienne, comme si elle seule pouvait encore donner l’espoir à l’Humanité. Mozart, Beethoven, Schubert et Tchaïkovski surent insuffler la vie, même quand cette dernière paraissait perdue.

Gunther Goldsmith, le père de Martin, ne se sentait pas particulièrement juif même si, comme lui fait remarquer son fils, son nom « est tout aussi juif que la carpe farcie ». Il ne se sentait pas juif, mais il a été rattrapé par la réalité, les événements, l’Histoire.

Lorsqu’en 1935, à peine âgé de vingt-deux ans, il est chassé de son académie de musique, qu’il trouve refuge dans le Kulturbund, l’organisation culturelle juive, tolérée par le régime, et que, finalement, il s’apercevra qu’il n’est d’autre solution que la fuite, même si celle-ci signifie l’abandon des autres membres de la famille et la fin, au moins pour lui, de la musique.

1938, avoue-t-il à son fils, ce n’est pas la fin des juifs, c’est la fin de tout. Winter Journey est une évocation envoutante du passé.

Si Bruno Ganz prête ses traits au père, c’est le fils en personne, Martin Goldsmith, qui pose les questions hors champ, comme il le fit dans la réalité lorsqu’il voulut connaître le passé de sa famille.

Il ne s’agit nullement, une fois encore, de raconter l’irracontable et de ressasser l’horreur, il s’agit de connaître le passé pour ne pas le reproduire, et ne pas se permettre de juger trop vite ceux qui survécurent et qui ont tant de mal à se confier.

Un film d’une grande intensité et d’une réelle émotion.

Winter Journey, d’Anders Ostergaard.

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