Peut-on pactiser avec le diable ? Telle est la question que se posa sans aucun doute le docteur Félix Kersten lorsqu’en mars 1939 il fut contacté par les services SS pour se rendre au chevet d’un malade.
Mais quand le docteur Kersten arriva à destination, il se rendit compte que l’homme qu’il devait ausculter n’était autre qu’Heinrich Himmler lui-même, chef suprême de la Gestapo et des SS, numéro deux du régime nazi. Himmler, l’homme qui, ainsi que le souligne le texte d’Antoine Nouel, n’était séparé d’Hitler que par deux consonnes : le T de la tête et le M de la mort.
Premier dilemme pour le praticien : peut-on vouloir soigner un monstre ? Même s’il y est impérativement tenu par le serment d’Hippocrate, le médecin répugne à s’occuper des politiques, et surtout des politiques d’un tel acabit.
Oui mais le monstre, en l’occurrence, est malade. Il souffre de douleurs abdominales chroniques qui le clouent au lit de douleur. Et quand un monstre comme Himmler souffre, il redevient humain. Même Himmler, le terrifiant Himmler, peut avoir ses moments de faiblesse.
Second dilemme : en soignant Himmler, ou en le soulageant, le docteur Kersten permet à ce dernier d’exercer son activité de tortionnaire implacable. Il rend la vie à quelqu’un qui ne songe qu’à donner la mort.
A partir de ce postulat infernal, nous assistons à une série de consultations dont les dates s’échelonnent tout au long de la Seconde Guerre mondiale, Félix Kersten étant devenu le médecin particulier du Reich führer Heinrich Himmler. Et ces consultations constituent une véritable partie de cache-cache entre le médecin honnête et scrupuleux et le militaire fanatisé et extrémiste car, en guise d’honoraires, ce que va réclamer Kersten ce n’est pas de l’argent mais la libération d’un certain nombre de ses amis incarcérés par le pouvoir nazi. Et des amis, le médecin finlandais, comme le lui fait remarquer son célèbre patient, en possède beaucoup : ils se comptent par dizaines, par centaines, par milliers…
Félix Kersten était venu à la médecine sur le tard et par hasard en découvrant qu’il possédait un don incontestable : celui de soulager, en massant à l’aide seulement de ses deux mains, des douleurs persistantes que les médicaments classiques ne parvenaient pas à calmer. C’était une époque où l’art d’Esculape acceptait encore d’avoir recours à la superstition populaire et à des approches parallèles.
Félix Kersten, thérapeute particulier d’Heinrich Himmler, était ainsi une sorte de Shéhérazade médecin qui aurait sauvé la vie des autres non pas en racontant des histoires mais en imposant les mains.
On estime qu’au bas mot, il sauva de la mort cent mille personnes, dont soixante mille juifs. Cent mille personnes, peut-être plus, qui réchappèrent à la Shoah grâce à l’intervention d’un simple médecin en thérapie manuelle.
Tels sont les enjeux passionnants de cette pièce qui, si elle n’est pas exempte de tout défaut — quelques maladresses dans la structure dramatique, quelques lourdeurs démonstratives dans la mise en scène — possède l’insigne mérite de poser clairement au spectateur la question : et vous, à sa place, qu’auriez-vous fait ?
Deux mains la liberté, actuellement au Studio Hébertot.
Si vous désirez aller plus loin :
Les mains du miracle, de Joseph Kessel, aux éditions Folio. 416 pages. 9,20€.
La liste de Kersten. Un Juste parmi les démons, de François Kersaudy, aux éditions Livre de Poche. 512 pages. 8,90€.
Et pour la jeunesse :
Kersten, médecin d’Himmler. Tome 1 : Pacte avec le mal, de Patrice Perna et Fabrice Bedouel, aux éditions Glénat. 48 pages. 14,50€.
Kersten, médecin d’Himmler. Tome 2 : Au nom de l’humanité, de Patrice Perna et Fabrice Bedouel, aux éditions Glénat. 48 pages. 14,50€.
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