L’expression n’est pas un oxymore : on atteint la spiritualité en acceptant sa part d’animalité, on trouve la profondeur en s’efforçant à la simplicité, on ne trouve l’humain que dans le naturel.
L’expression n’est pas un oxymore mais l’expression d’une quête, celle qu’avec une profonde humilité Zadkine mena toute sa vie durant.
Parce qu’il estimait que l’académisme était une impasse et parce que, de façon viscérale, de par ses origines et ses désirs profonds, il se sentait enraciné dans la nature, Ossip Zadkine qui avait tant appris s’efforça de désapprendre : désapprendre les techniques, les thématiques, les à-priori de tout ce qui constituait les bases communément admises de l’art occidental. Pour désapprendre, il faut renaître ; c’est pourquoi, à l’exemple de quelques-uns de ses contemporains, il admira et étudia les dessins d’enfants, vecteurs d’une énergie que l’homme civilisé laisse disparaître. Renaître, redevenir enfant, redevenir évident…
Zadkine regarde, remarque, étudie, et s’approprie : le travail des ancêtres, celui des artistes médiévaux, celui des arts premiers, et toute la production orientale. Pour enrichir l’ici, il faut savoir regarder ailleurs ; pour sublimer l’aujourd’hui il faut savoir étudier l’autrefois. D’où l’abandon de la perspective à l’Italienne pour autre chose, pour l’étude du monde, du réel, du vivant. D’où l’intérêt manifesté pour le travail du hasard et celui de la nature : Zadkine n’hésite pas à laisser ses sculptures en bois dans son jardin.
Celles-ci vont être malmenées par les éléments, pluie, neige, vent et gel, ainsi que par les animaux. Mais Zadkine estime que les trous creusés par les vers ne dégradent pas l’œuvre, ils l’authentifient, en font un élément naturel parmi les autres.
Lorsqu’il se choisit un support, pierre ou bois, Zadkine ne lutte pas contre la matière, il en fait sa complice et son guide : ce galet semble dessiner un profil ? il suffit de lui rajouter les yeux et la bouche. Ce que la nature a choisi devient facilement matière artistique : il suffit de se conformer à l’évidence, à « l’âme primitive ».
Avant Zadkine, la voie avait été en partie explorée par Rodin. A la fin de sa vie, l’illustre prédécesseur pétrissait des petits blocs d’argile pour en faire surgir d’obscènes et gracieuses ballerines nues.
La voie est explorée aussi, en parallèle, par un certain nombre de contemporains de Zadkine : Chagall, Derain, Kandinsky… Et elle va devenir, cette voie, la pratique courante de plusieurs artistes modernes : Laurent Le Deunff qui sculpte des patates en bois ; Michel Blazy qui offre aux souris une toile recouverte de crème vanille et chocolat pour qu’elles y inscrivent le dessin de leurs dents ; Thomas Fleb, l’artiste juif polonais exilé à Angers, qui incise des semelles de chaussures pour y créer des visages venus d’autres dimensions du monde ; et les profils délicats de Mariza Merz qui surgissent d’une brume de couleurs pastel ; et les crayons de William Anastasi qui ne sont guidés que par les soubresauts du métro new-yorkais…
Autant d’exemples du principe fondamental cher au cœur de Zadkine : revenir à l’évidence, entendre, comprendre, admettre que rien n’est plus complexe que la simplicité.
C’est ce principe qui procure à l’œuvre d’Ossip Zadkine son caractère profondément intemporel : il aurait pu être frère des bâtisseurs de pyramide, Ossip Zadkine, lui qui traçait les lignes du futur.
L’âme primitive, jusqu’au 27 février 2022 au musée Zadkine.
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