Cultures-J : Caroline Loeb bonjour, et merci de nous recevoir aujourd’hui à Paris, quelques jours avant votre départ en Israël où vous donnerez cinq représentations de votre spectacle Françoise par Sagan, mis en scène par Alex Lutz. Caroline Loeb vous êtes auteure, chanteuse, comédienne, metteuse en scène… Dans laquelle de ces disciplines vous sentez-vous le plus « à l’aise » ?
Caroline Loeb : La vérité, c’est que j’aime chaque chose de manière très différente. Chacune de ces disciplines est étroitement liée, et me permet d’exprimer des émotions différentes. Je n’ai pas de préférence, elles sont toutes un très grand plaisir, différente l’une de l’autre… C’est un peu comme si on demandait à quelqu’un quel genre de cuisine il préfère : chacune est particulière, offre du plaisir… C’est la même chose.
Mais ce que j’adore surtout, c’est de passer dans la même journée d’une activité à l’autre : écrire le matin, mettre en scène l’après-midi, et jouer le soir. Ca, c’est une journée de rêve (rires).
C-J : Et comment êtes-vous justement passé de l’un à l’autre ? Ce sont des talents fort différents pourtant.
C. L. : Pour moi c’est la même chose. J’ai commencé comme comédienne – j’étais très cinéphile, quand j’avais 16 ou 17 ans, j’arrivais à la Cinémathèque à 10h00, j’en ressortais à minuit, je me faisais tout Cukor, tout Mankiewicz, Kurosawa, Fritz Lang… , et c’est le hasard qui m’a fait découvrir que j’étais metteuse en scène. Ma première mise en scène a été pour mon ami Michel Hermon, aux Bouffes du Nord. Son metteur en scène venait de le lâcher, et là, j’ai découvert que je savais le faire. Mais au départ ça n’était ni un désir, ni un projet. J’ai découvert que j’adorais ça !
Je le raconte dans mon nouveau spectacle Chiche! : je me shootais à l’opéra, Verdi ou Mozart, que j’écoutais en boucle. Finalement l’opéra concentre tout ce que j’aime : les émotions très fortes, la musique, le théâtre… Ça fait maintenant quarante ans que je fais des choses très différentes, mais toutes en rapport avec la musique, le théâtre, l’écriture également puisque les femmes que je défends depuis une dizaine d’années, George Sand, Françoise Sagan, sont des femmes libres, des femmes qui se réinventent… Pour moi c’est très important.
C-J : Vous partez ce dimanche en Israël pour y donner cinq représentations de votre spectacle Françoise par Sagan (les 16 et 17 février à Tel Aviv, le 19 à Jérusalem, le 23 à Ashdod et le 24 à Netanya). Après George Sand, vous portez donc sur scène une autre très grande femme de lettres : Françoise Sagan. D’où vous vient cet intérêt pour la littérature féminine ?
C. L. : Quand j’avais vingt ans, mon livre de chevet c’était The complete Dorothy Parker. J’ai toujours été fascinée par les femmes différentes, les femmes libres, les femmes singulières, anticonformistes, et qui ne se laissaient pas enfermer dans des cases. Dorothy Parker c’est un bijou d’intelligence et de cruauté.
George Sand m’est « tombée dessus » un peu par hasard. Un projet non abouti m’a permis de découvrir la femme, et finalement j’ai passé cinq ans à lire toutes les biographies, j’étais absolument fascinée par la curiosité, l’appétit, la vitalité de cette femme.
Quant à Sagan, tout vient des interviews dans le livre Je ne renie rien. Je n’avais jamais lu Sagan auparavant, et quand j’ai découvert ses interviews, elle m’a bouleversée. Ce qui m’a fascinée, c’est que derrière le « personnage », il y a un profondeur, une philosophie, des choses très fortes. L’une des raisons pour lesquelles j’ai été aussi touchée par ses interviews, c’est que comme tout le monde, je connaissais la Françoise Sagan frivole, mondaine, celle de la nuit, qui joue, qui se réfugie dans les paradis artificiels… Mais en fait, derrière tout ça, il y a vraiment une philosophe. C’est ça que j’ai voulu mettre en lumière dans Françoise par Sagan. C’est moi qui aie fait le montage du texte, et lorsque l’on a travaillé avec Alex Lutz sur la mise en scène, on a vraiment voulu faire entendre cette parole, qui est totalement universelle et d’un humanisme magnifique.
C-J : Quel sont vos liens avec Israël ?
C.L. : Je vais vous avouer : je ne suis jamais allée en Israël. J’y pars sans aucune idée de l’endroit où je vais. Je n’ai pas regardé de photos, je n’ai pas cherché à savoir. J’essaie d’y aller le plus « disponible » possible. Mes amis me disent « tu vas voir, Jérusalem est extraordinaire, la lumière, etc…« . Je commence juste à avoir des retours de personnes qui me disent que c’est vraiment très fort, mais encore une fois, je veux que ce soit une surprise. Du coup, je pense que ça va être comme avec Sagan : quand on part sans a priori et vraiment dans l’ouverture, on est prêt à recevoir les émotions. Je suis très très heureuse d’avoir l’occasion de découvrir ce pays.
Quant à mon lien à la culture juive, c’est quelque chose qui me touche particulièrement, surtout avec une enfance new-yorkaise. Mes idoles c’étaient les Marx Brothers, Bette Midler, Sophie Tucker, la première femme comique juive dont on peut voir le portrait à Ellis Island, Fanny Brice, Woody Allen, Billy Wilder… Ce sont des noms qui résonnent très fort pour moi, c’est un esprit qui me convient parfaitement. Et c’est aussi pourquoi je pense que Sagan a quelque chose de commun avec la pensée juive, avec cet élément très central chez elle : le doute. Le fait que les choses ne soient pas noires ou blanches. Elle commence une phrase et l’achève en disant « et puis non, peut-être pas… ». Il est essentiel que toute pensée soit capable de se remettre en question.
C-J : Dans quelle cadre allez-vous donner ces représentations ? S‘agit-il d’un festival ? D’un événement particulier ?
C. L. : Non, ce sont des producteurs qui ont vu le spectacle il y a trois ans au Festival d’Avignon et qui ont décidé de le faire venir en Israël.
C-J : On connaît Caroline Loeb chanteuse, Caroline Loeb comédienne, Caroline Loeb metteuse en scène, mais ce que l’on connait un peu moins, c’est Caroline Loeb petite-fille de marchand d’art. Votre grand-père, Pierre Loeb, était galeriste, fondateur en 1924 rue Bonaparte de la Galerie Pierre, où étaient exposés Picasso, Miro, Paul Klee, Max Ernst, Raoul Dufy, André Breton, Giacometti, Balthus… Gardez-vous des souvenirs de votre grand-père, ou de cette période ?
C. L. : Je l’ai très peu connu en fait. Avec ma famille, nous sommes partis vivre à New York en 1959 pendant six ans. Et nous ne sommes revenus en France qu’à la mort de Pierre Loeb. Je l’ai très peu vu, mais dans l’histoire familiale, il y a cette belle anecdote, qui cache quelque chose de terrible cependant : quand il s’est réfugié avec sa femme et ses enfants à Cuba en 1942, il a confié la gestion de sa galerie à un de ses amis, Georges Aubry. Mais lorsqu’il est revenu à Paris à l’issue de la guerre, celui-ci a refusé de la lui rendre, malgré l’accord qu’ils avaient passé ensemble. Mon grand-père a appelé Picasso, avec qui il était très ami, pour lui raconter ce qu’il se passait. Picasso a alors décroché son téléphone, a appelé Georges Aubry, et lui a simplement dit ces trois mots : « Pierre est rentré ». Mon grand-père a récupéré sa galerie immédiatement. Cet exil et toute cette période l’ont beaucoup marqué. Traumatisé même je pense. Plus rien n’a été pareil ensuite.
Pierre Loeb était ami avec Picasso, mais aussi avec Giacometti, André Breton… Il a été l’un des tout premiers à s’intéresser à ce que l’on appelait à l’époque « l’art nègre », l’art africain. J’ai visité récemment la très belle exposition au Mémorial de la Shoah, Le marché de l’art sous l’Occupation. La pièce qui m’a le plus frappée, c’est celle avec les quelques objets et un mur sur lequel étaient inscrits les numéros des lots, et une voix off qui dit “tel objet… tel objet… tel objet…”. Et là, ça devient vraiment palpable, à quel point la moindre petite cuillère, le moindre cendrier, le moindre tapis leur a été volé ! Tout, absolument TOUT leur a été pris ! J’ai trouvé très touchant aussi le fait que ces objets étaient simplement posés, sans vitrine, et que l’on pouvait presque lees toucher. C’était particulièrement bouleversant.
C-J : Vous serez de retour sur la scène de l’Archipel à partir du 12 mars avec votre nouveau spectacle Chiche ! Pouvez-vous nous parler de ce nouveau rendez-vous ?
C. L. : Chiche !, c’est vraiment la continuité du spectacle sur Françoise Sagan. J’ai joué Françoise par Sagan 350 fois en trois ans et demi, et assez rapidement, quelqu’un m’a envoyé un double coffret de chansons écrites par Sagan. J’ignorais qu’elle avait écrit des chansons, et à l’écoute, je me suis dit « Bon sang, mais c’est bien sûr ! Pourquoi je ne reviendrais pas à la chanson ?« . Ca m’a donné l’envie très forte de faire un nouvel album, Comme Sagan, qui comprends une chanson écrite par Sagan et qu’avait chanté Juliette Greco, Sans vous aimer, ainsi que beaucoup de choses que j’ai écrites ou co-écrites.
Mais comme pour Françoise par Sagan, le point de départ, c’est bien sûr Sagan, mais l’arrivée, ce sont des choses plus intimes, qui me touchent personnellement. Et pour faire exister ces chansons, il n’y a rien de mieux qu’un spectacle, là où tout se rejoint, et ça a donné Chiche!
Sagan m’a fait un cadeau incroyable : grâce à elle, j’ai enfin pris la liberté de raconter mes histoires, de parler de mes années Palace, de mon enfance à New York, de me livrer… Et comme souvent, la première question qu’on se pose est : « Oui mais… est-ce que ça va intéresser les autres ? » Eh bien je suis très surprise et très heureuse de voir que les spectateurs rient, pleurent, reviennent deux ou trois fois même. Il se passe réellement quelque chose avec ce spectacle pour lequel je suis accompagnée par trois musiciens absolument formidables, dans un univers un cabaret, music-hall, très différent de Françoise par Sagan.
C’est très libre, et je m’amuse comme une folle (rires).
Propos recueillis à Paris le 13 février 2020.
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