Voilà une exposition qui pourrait passer pour des plus paradoxales : Cézanne et l’Italie, alors que, l’Italie, Cézanne ne la connaissait pas et ne s’y rendra jamais. Mais l’on sait, depuis belle lurette, que l’Italie est plus qu’un pays et pas très loin d’un rêve : on peut donc à loisir la fantasmer.
Qu’on ne cherche ici ni trajet biographique ni compilation thématique : dès l’entrée, le ton nous est donné, il s’agit de dénicher quelques-uns des secrets de fabrication de l’artiste. Et en l’occurrence, cette part de l’œuvre qu’il doit à l’Italie.
Cézanne découvre cette dernière à travers les artistes, ceux de la Renaissance, bien entendu, et aussi le XVIIème. Il s’imprègne de ces périodes et s’en inspire, mais il ne s’agit ni de copies ni d’imitations. Dès ses premières années, Cézanne sait être de son temps, tant par les sujets que par la facture : chez lui la matière picturale est dense, il travaille par aplats épais et onctueux, les couleurs sont éclatantes et il fait pleinement partie de cette génération qui quitta l’atelier pour créer en pleine lumière, à l’égal de Monet, Degas, Renoir et les autres. La différence, chez lui, c’est que Cézanne se veut ce qu’on voudra : impressionniste, fauve, moderne, peu lui chaut…
Pour Cézanne, au final, — et c’est sans doute la raison pour laquelle il est vite devenu si terriblement moderne —, le sujet n’importe pas : ce qu’il fait, c’est de la peinture, donc du brûlant, du vif, du provocant ! Son Château noir (1903) est tout sauf noir mais ocre, brun, chaud, audacieux…
Chez ses « maîtres » italiens, il sait prélever l’essentiel, à son goût. Du Tintoret et du Greco, il aime la scénographie, cette véritable et minutieuse mise en scène de l’espace, les jambes et les bras des personnages formant comme un rideau de scène qui dévoilerait l’offrande picturale, l’enchevêtrement des corps dessinant un triangle audacieux et dynamique.
Mais les sujets religieux de rigueur au XVIème siècle font place, chez Cézanne, à des scènes de faits-divers, l’actualité de son époque, et au final, on peut sublimer de la même façon une Descente de croix (Tintoret, 1580) et le meurtre d’une malheureuse anonyme (Cézanne, 1875).
Chez Poussin, il admire la composition duelle, un groupe de personnages dressant l’espace verticalement tandis qu’un autre groupe allongé comble l’horizontal. La différence, importante, est que Poussin, lui, invente ses paysages pour en faire des décors, mi-stuc mi-dentelles, dignes de quelque péplum antique.
Cézanne, de son côté, peint ce qu’il a sous les yeux : la campagne autour d’Aix. Comme si, en quelques sortes, la Provence française devenait, sous son pinceau, la réalité de la campagne italienne. Et Cézanne de démontrer ainsi qu’on peut être tout à la fois classique et moderne.
A la façon dont certains aident à traverser des fleuves, Cézanne est un « passeur d’art » qui nous emmène du rivage classique jusqu’à celui de l’art moderne. Nul besoin, semble-t-il nous dire, de choisir entre les deux : l’art est un labeur qui ne connaît pas d’époque, même si les académies, elles, veulent à tout prix codifier et mettre bon ordre…
Le magnifique clin d’œil du destin, c’est qu’au tout début du XXème siècle, la jeune génération des artistes italiensd écouvre, à son tour, le maître Cézanne, décédé en 1906, et qu’elle en fait une puissante source d’inspiration. Carra, Sironi, Pirandello, Morandi, et bien d’autres, admirent, chez Cézanne, l’efficacité de la composition et la richesse de
la palette de couleurs.
Ainsi est bouclée la boucle, de l’Italie à la France, du XVIème au XXème siècle !
On ne se privera pas, après cette belle exposition, de retrouver la splendide collection permanente des Monet au sous-sol du musée Marmottan : tant qu’à faire, autant ne pas bouder son plaisir !
Cézanne et les maîtres. Rêve d’Italie, jusqu’au 3 janvier 2021 au Musée Marmottan.
On aime l’Italie. On la fantasme comme a dit Cézanne, même si on ne l’a jamais vue.
On aime l’Italie, on la fantasme comme un rêve comme a dit Cézanne.