Emil Georg Bührle, marchand d’armes et collectionneur…

« Je dirais plutôt qu’un vrai collectionneur est au fond un artiste manqué. Le collectionneur se caractérise par la qualité de son choix et par la réunion judicieuse des œuvres d’art. »

Emil Bührle.

Actuellement et jusqu’au 21 juillet, une soixantaine d’œuvres impressionnistes et postimpressionnistes exceptionnelles, issues de la prestigieuse collection de l’industriel et marchand d’armes allemand Emil Bührle, font l’objet d’une magnifique exposition au Musée Maillol.

Etudiant en philosophie, littérature et histoire de l’art, Emil Bührle, qui s’intéresse très tôt aux maîtres anciens, découvre Monet et les artistes impressionnistes en 1913 à la Galerie Nationale de Berlin.

Après son mariage avec la fille d’un riche banquier, il investit dans les parts de l’usine d’armement Oerlikon et s’installe en Suisse, où vivent de nombreux collectionneurs d’impressionnistes.

Durant les années 30, Oerlikon fournit armes et munitions à la République de Weimar, dont le réarmement est prohibé suite au traité de Versailles. Une activité qui va permettre à Emil Bührle de décupler sa fortune en quelques années, et d’en injecter une large partie dans l’acquisition d’œuvres d’art. Mais ce statut de fournisseur de la Wermacht s’avérera à double tranchant à l’issue du conflit mondial, et vaudra à Oerlikon de figurer sur la « liste noire » des Alliés au sortir de la guerre.

Pour le conseiller et l’assister dans ses acquisitions, Emil Bührle, bien connu sur le marché de l’art en raison de l’importance de ses achats, fait appel à divers marchands, dont certains le suivront durant des années, tels Fritz Nathan, qui a fui Munich pour s’installer à Bâle, ou Frank Lloyd.

La Seconde Guerre Mondiale va voir émerger sur le marché de l’art des milliers d’œuvres à l’origine parfois plus que douteuse, et très souvent spoliées à des marchands d’art ou des familles de confession juive. Avec son statut d’état « neutre », une grande partie de ces œuvres va prendre le chemin de la Suisse, où réside Emil Bührle. Une nation qui accepte plus volontiers sur son territoire les œuvres de collections juives que les Juifs eux-mêmes.

Très probablement exposées dans la « Salle des Martyrs » du Jeu de Paume, treize toiles spoliées, et sans doute achetées en toute bonne foi, vont rejoindre la collection d’Emil Bührle. En 1942, quelques 125 œuvres dites « dégénérées » sont vendues par la Galerie Fischer de Lucerne. Il en acquiert une dizaine, dont La liseuse de Camille Corot, et Avant le départ de Degas, toutes deux volées à Paul Rosenberg.

« Je sais qu’à Paris l’on vend mes biens et que probablement ils trouveront asile en Suisse afin qu’ils puissent mieux disparaître. Tout cela se solutionnera à la fin de la guerre et j’espère bien les retrouver ».

Lettre de Paul Rosenberg à Walter Feilchenfeldt, 1942.

Après la guerre, lorsqu’il apprends l’origine des toiles qu’il a acquises, Emil Bührle les restitue à leurs propriétaires, et les rachète immédiatement lorsque cela est possible.

Riche de plus de 600 œuvres à sa mort en 1956, dont 103 acquises la seule année 1954, la collection Emil Bührle compte aussi bien des toiles de maîtres vénitiens ou du siècle d’or hollandais que des impressionnistes : Paul Cézanne, Edouard Manet, Henri Fantin-Latour, Auguste Renoir, parmi lesquelles le magnifique Portrait d’Irène Cahen d’Anvers, confisqué en 1942 au profit de la collection de Göring, Amedeo Modigliani, Paul Gauguin, Vincent Van Gogh et Le semeur, soleil couchant, inspiré de Millet et datant de la période arlésienne de l’artiste, une des principales acquisitions de Bührle, André Derain, Maurice de Vlaminck, Eugène Delacroix, le romantique admiré par les impressionnistes, Henri de Toulouse-Lautrec, à qui Emil Bührle voue une fascination presque sans borne, les nabis Bonnard et Vuillard, Pablo Picasso, découvert tardivement et qui entre dans sa collection en 1953 avec L’italienne, ou encore Le champ de coquelicots près de Vetheuil de Monet, l’une des quatre toiles volées lors d’un braquage à la Fondation Bührle en 2008.

Cinquante-sept œuvres de cette collection exceptionnelle – l’une des plus riche du monde -, sont donc actuellement exposées pour la première fois en France au Musée Maillol, en attendant leur installation définitive dans la toute nouvelle extension du Kunsthaus de Zurich, dont l’ouverture est prévue en 2020.

La collection Emil Bührle, jusqu’au 21 juillet 2019 au Musée Maillol.

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Si vous désirez aller plus loin :

La collection Emil Bührle, le catalogue de l’exposition, aux éditions Gallimard. 188 pages. 35,00€.
La collection Emil Bührle : Manet, Cézanne, Monet, Van Gogh…, le hors-série, aux éditions Beaux Arts. 52 pages. 9,50€.
Le front de l’art : défense des collections françaises, 1939-1945, aux éditions RMN. 403 pages. 22,00€.
Les carnets de Rose Valland : le pillage des collections privées d’oeuvres d’art en France durant la Seconde Guerre Mondiale, aux éditions Fage. 164 pages. 24,00€.
Collections privées. Un voyage des impressionnistes aux fauves., de Claire Durand-Ruel Snollaerts et Marianne Mathieu, aux éditions Hazan. 192 pages. 29,00€.
Les notaires sous l’Occupation (1940-1945) : Acteurs de la spoliation des juifs, de Vincent Le Coq et Anne-Sophie Poiroux, aux éditions Nouveau Monde. 493 pages. 19,00€.
Le lièvre aux yeux d’ambre, de Jean-Marc Dreyfus, aux éditions Flammarion. 608 pages. 29,00€.
21, rue de La Boétie, de Anne Sinclair, aux éditions Livre de Poche. 252 pages. 7,10€.
Le dernier des Camondo, de Pierre Assouline, aux éditions Gallimard. 338 pages. 8,40€.

Et pour la jeunesse :

Rose Valland, une Résistante sauve des oeuvres d’art, de Mano Gentil, aux éditions Oskar. 112 pages. 10,95€.
Rose Valland, capitaine Beaux-Arts, de Claire Bouilhac, Polack et Catel, aux éditions Dupuis. 48 pages. 12,50€.

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